Photo : Said Boudil (Instagram)

Dans la foulée de la défaite -certes encourageante- de l’Union Populaire au 1er tour des présidentielles, la tendance était à la déception, la frustration et la démobilisation pour tous ceux qui espéraient vivre un quinquennat moins violent que le précédent. On en veut pour preuve les invectives entre partis de gauche, le dégoût d’un deuxième tour Macron-Le Pen que beaucoup voulaient éviter, et tout simplement l’opportunité manquée d’un changement profond de société. L’horizon des législatives laissaient tout de même un espoir, celui d’imposer un contre-pouvoir au prochain président. Mais l’on ne prononçait cette possibilité de gouverner qu’à demi-mot, comme s’il fallait qu’un leader le verbalise pour créer l’émulation, pour y croire. 

Mélenchon vainqueur de l’entre-deux-tours

Mélenchon réalise un coup de maître en annonçant sa campagne de candidature au poste de premier ministre, la veille du débat du second tour. Un choix pas anodin : il laisse retomber la colère près de 10 jours après le 1er tour ; et surtout il impose sa présence lors du débat, malgré son absence physique. En prenant la parole avant, il crée l’alternative aux deux finalistes dans l’esprit des gens, il envoie son hologramme sur les plateaux de TF1 et France 2, face à des candidats en galère sur les questions sociales et écologiques. Et les votes du second tour expriment ce besoin d’alternative : environ un tiers des inscrits se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul, près de la moitié des électeurs de Macron et Le Pen ont fait barrage à l’adversaire. Mélenchon est le grand vainqueur de l’entre-deux-tours. Sa conférence du 21 avril nous aide à y voir plus clair sur la dynamique enclenchée lors de la campagne présidentielle, et sur la stratégie adoptée pour les législatives. 

L’anticipation des crises

Face à un Emmanuel Macron sans cesse surpris par les crises sociales, écologiques, sanitaires, économiques, diplomatiques, etc. et qui n’agit que par une tactique hasardeuse en réactions aux problèmes, sans les anticiper ni les traiter en amont. Et face à une Marine Le Pen qui n’a bien ficelé que son programme xénophobe anti-immigration. L’Union Populaire contraste par son sérieux et sa capacité à mener un projet qui répond aux problèmes présents et à venir. 

C’est bien Mélenchon qui alertait il y a des années des risques de guerre en Ukraine en constatant l’avancée des troupes de l’Otan, qui alerte des risques sanitaires que provoquent les zoonoses. C’est l’Avenir en Commun qui a imposé le terme de planification écologique dans l’arène politique. C’est l’Union Populaire qui n’abandonne pas les classes populaires dont les révoltes sont inévitables face à une inflation couplée d’appauvrissement.

Lors de la conférence du 21 avril, Mélenchon identifie et alerte d’un problème majeur : celui de l’eau, et il est bien le seul. Selon lui, la crise de l’eau apparaît en France (précisément en Alsace) avec le début de sa contamination via des dérivés de pesticides. Il ajoute que le succès de l’Union Populaire dans les Outre-mers (élu au premier tour dans plusieurs territoires) est un signal des réponses sociales et écologiques qu’apporte le mouvement aux habitants des territoires qui vivent plus intensément la pauvreté et la crise climatique (de l’eau notamment et ses rivières contaminées) qu’en métropole. 

Tactique mobilisatrice de ses électeurs, et au-delà

Constamment bousculé par les journalistes (moins qu’en 2017 cela dit) sur son refus d’appeler à voter Emmanuel Macron au second tour, Mélenchon s’en explique par une raison d’abord tactique. Non seulement il valorise son électorat en faisant confiance à leur intelligence, mais il évite surtout la démobilisation voire le conflit entre des électeurs souhaitant faire barrage à Le Pen, et d’autres pour qui le vote Macron est impensable (et c’est bien normal). 

Mélenchon ne se contente pas d’adresser une semi consigne de vote, il demande à ses électeurs de ne pas s’écharper sur le sujet du deuxième tour, l’important étant le maintien de la mobilisation du bloc populaire. C’est pourquoi il était mieux venu d’enjamber ce deuxième tour pour mieux préparer les législatives.

Mais sa tactique va bien au-delà d’un entre-soi : en constatant que le grand vainqueur du premier tour est une nouvelle fois l’abstention, Mélenchon a bien compris que c’est dans ce réservoir qu’il peut convaincre et qu’il a déjà convaincu. Mais il compte aussi s’appuyer sur les autres partis de gauche : une attitude loin d’être égocentrique ou revancharde envers certain.e.s candidat.e.s qui n’ont pourtant pas été corrects avec le leader insoumis durant cette campagne. Des discussions ont même lieu avec un Parti Socialiste en crise. Mélenchon invite également le NPA et Jean Lassalle à s’unir derrière l’Avenir en Commun : des partis dont on aurait jamais imaginé former une coalition avec Jean-Luc Mélenchon, c’est dire si le projet et la dynamique de l’Union Populaire sont une nécessité, une urgence, en opposition aux politiques actuelles très droitisées et inconscientes sur le plan écologique et social.

L’Avenir en Commun, programme de transition pour sortir du capitalisme

C’est un élément essentiel de cette conférence, pour réellement comprendre le projet de l’Union Populaire et cette opportunité que nous nous devons de saisir. Mélenchon l’assume : l’Avenir en Commun est un programme de transition pour sortir du système capitaliste. C’est la seule manière d’être de gauche et de faire une politique de gauche, d’être écologiste et de mener une politique écologiste. 

Alors pourquoi un programme de transition et non un programme déjà révolutionnaire ? Mélenchon admet que pour être élu, il faut y aller progressivement. Un projet révolutionnaire est certes plus efficace, mais n’est pas réaliste à court terme. Le vote est le moyen le plus pacifique d’y parvenir. Aujourd’hui, l’Union Populaire a prouvé qu’elle était proche du pouvoir et que le changement -partiel- par les institutions était possible.

Pourquoi nous sommes sur la bonne voie

On pourrait se lamenter que le néolibéralisme gagne toujours ou que l’extrême-droite est de plus en plus forte, mais la dynamique et les résultats de ces 10 dernières années montrent que les idées de la gauche radicale infusent, progressent et se cristallisent. D’abord, le bloc populaire de rupture qu’incarne Mélenchon depuis le Front de Gauche jusqu’à l’Union Populaire en passant par la France Insoumise, est passé du simple au double en 10 ans (de 11% en 2012 à 22% en 2022). C’est plus généralement la gauche de rupture qui progresse (à savoir la gauche radicale qu’incarne Mélenchon et les partis anticapitalistes).

De même, l’écologie politique incarnée par EELV et la FI, est passée de 2% à 26% sur la même période (avec l’honnêteté de concéder que le Front de Gauche n’était pas suffisamment écologiste). Cette ascension, il le traduit comme un vote de conscience de la population sur la nécessité de prendre des mesures radicales face à l’effondrement du vivant.

Enfin, si le score de Mélenchon en 2022 est une petite victoire, c’est parce qu’il rivalise presque au coude à coude avec les deux autres blocs : le fascisme et le néolibéralisme. Le leader insoumis peut être fier d’annoncer que son score est le plus élevé pour un candidat arrivé troisième aux présidentielles sous la Vème République. Ce qui en fait un scénario inédit : le troisième homme a autant de crédit que les deux finalistes, et autant de raisons de s’affirmer en prétendant sérieux à une majorité aux législatives.

Nous pouvons ajouter à toutes ces dynamiques, la dynamique des mouvements sociaux : le paysage s’est agrandi et l’intensité des luttes a augmenté ces dernières années. Nous n’avions pas eu un mouvement anticapitaliste tel que celui des gilets jaunes depuis très longtemps, avec une conscience profonde des injustices sociales que porte le néolibéralisme. C’est le cas aussi d’Extinction Rebellion ou des mouvements féministes qui sont capables d’articuler l’oppression du néolibéralisme, la domination patriarcale et la guerre menée contre la biodiversité

Les conséquences concrètes de la politique sur la vie des gens

Si une union de la gauche aux législatives est souhaitée, ce n’est pas parce que les partis de gauche sont tout d’un coup d’accord sur un projet commun. Si cela est trop tard pour présider la France, il reste une opportunité de gouverner. Et ce qui peut rendre cette union possible, c’est la capacité mobilisatrice de l’Union Populaire et la dernière chance pour la gauche de gouverner avant des années.

Si les partis de gauche pourraient enfin mettre leur égo de côté, c’est parce qu’il y a des électeurs derrière, qui vont subir la politique de casse sociale 5 ans de plus. Une politique néolibérale a des conséquences très concrètes sur la souffrance des plus précaires (la gauche a aujourd’hui la responsabilité de se mobiliser pour imposer un contre-pouvoir et améliorer concrètement la vie des gens) : la retraite 3 ans plus tard pour ceux qui tiraient la langue et pensaient prendre enfin le repos qu’ils méritent, la non-hausse des salaires pour faire face à l’inflation, les biens publics de l’éducation et de la santé continueront d’être détruits, etc. Macron ne peut pas garder le pouvoir, c’est une question vitale pour des millions de gens. 

Enfin, ce moment est important car nous entrons en début de campagne, le moment où tout se décide. Lors de la campagne présidentielle, chaque parti de gauche s’est lancé, convaincu de pouvoir réaliser un bon score et devenir le parti dominant de la gauche. Une fois lancé dans une entreprise, qu’elle soit politique ou ordinaire, l’être humain a tendance à aller jusqu’au bout, quelque soient les conséquences, sous prétexte d’un engagement passé qu’il ne faut pas stopper. C’est le biais d’engagement. Ce biais a empêché les candidats de gauche de prendre la décision la plus rationnelle, celle de se retirer au profit du seul candidat de gauche en capacité de remporter les élections présidentielles. 

Les législatives sont un nouveau départ, d’où l’importance de prendre le bon engagement, d’autant que le mouvement en capacité de mobiliser a fait ses preuves électorales : l’Union Populaire, contrairement au moment du lancement de la campagne présidentielle. Et le problème de Mélenchon n’est pas d’occuper une position hégémonique, mais de s’accorder sur une stratégie et un programme commun.

Une majorité à l’Assemblée, c’est la prise de pouvoir

Enfin, Mélenchon dit ne pas apprécier le terme de “cohabitation” qui signifierait gouverner ensemble, c’est-à-dire avec Macron. Or, une majorité à l’Assemblée Nationale permet d’appliquer son programme. Le leader insoumis liste les pouvoir du premier ministre (liste non exhaustive) :

  • Nommer les autres membres du gouvernement
  • Diriger l’action du gouvernement
  • Ce gouvernement détermine et conduit la politique de la nation
  • Exécuter les lois
  • Est responsable de la défense nationale
  • Contreseing des nominations (le président a besoin de la signature du 1er ministre, donc de son accord)

Et si le président refuse d’appliquer les décrets du premier ministre, l’application du programme devra être votée à l’Assemblée Nationale (par des lois).

En somme, la victoire aux législatives et la possibilité de gouverner n’est impossible que pour ceux qui n’y croient pas. La base électorale de gauche est là, elle peut se mobiliser et s’amplifier.

© B. R.