Photo : Nupes (Facebook)

L’union de la gauche, depuis le temps qu’on l’attendait… Pourtant lors des présidentielles, la fracture entre les principales forces de gauche semblait plus grande que jamais, sur le fond comme sur la forme. Ce retournement de situation crée une dynamique d’union et d’enthousiasme incontestable, révélant un sentiment d’urgence de politique de gauche et d’opposition à un nouveau quinquennat de casse sociale. Mais un accord si vite conclu laisse forcément apparaître certaines anomalies. Dans certaines circonscriptions, le choix du ou de la candidat·e investi·e peut même laisser perplexe jusqu’à rendre le vote Nupes inconfortable voire indésirable. Car 577 circonscriptions, ce sont 577 élections différentes, avec ses candidat·e·s particulier·e·s, ses contextes locaux particuliers, ses militant·e·s particulier·e·s. Un accord -certes programmatique- entre forces politiques de gauche, ne peut pas déboucher sur l’investiture de 577 candidat·e·s entièrement compatibles avec le projet de rupture avancé et incarné par l’Union Populaire.

Alliance avec le PS, clarification et effets pervers

Doit-on se satisfaire de la présence du Parti Socialiste au sein de la Nupes ? La réponse diffère selon les points de vue. D’un côté, la candidature PS peut déranger les électeur·rice·s de la gauche radicale, qui ne voient plus dans ce parti une sincère opposition au néolibéralisme, qui se sentent surtout trahi·e·s par des discours à géométrie variable et des pratiques politiques aux intérêts bourgeois, corporatifs et opportunistes. C’est cette critique, vive et justifiée, qui empêche moralement un parti comme le NPA de rejoindre la nouvelle union, un ralliement qui aurait permis d’équilibrer les rapports de force. En l’état, l’Union Populaire qui se veut à juste titre au centre de l’union, est en réalité le pôle le plus anticapitaliste, alors que sa ligne politique n’est que réformiste. La France Insoumise n’a donc pas de contradicteur à sa gauche, si elle doit céder du terrain c’est la social-démocratie qui en grappillerait.

D’un autre côté, l’alliance avec le PS actionne des ressorts stratégiques indispensables pour atteindre les objectifs de gouvernance. S’affaisser sous le poids des compromis pour mieux déployer son énergie : l’analogie du ressort se vérifiera-t-elle ? Vous noterez que sous le poids des éléphants du PS, le ressort de l’anti-capitalisme aurait été écrabouillé. Or aujourd’hui les compromis ont avant tout été réalisés par le PS : retraite à 60 ans, désobéissance aux traités européens, programme de rupture proche de l’Avenir en Commun, majorité des circonscriptions pour la France Insoumise et Mélenchon premier ministre. L’aile droite du PS s’étant désolidarisée de cette alliance, le parti historique a enfin clarifié sa position à gauche en validant le projet de rupture de la Nupes. D’un point de vue purement stratégique, l’Union Populaire rallie à sa cause son principal concurrent de “gauche” à la conquête des sièges de députés. En effet, malgré un score douloureux aux présidentielles, le PS par son ancrage local aurait perturbé les velléités de victoire des Insoumis·es. 

L’alliance dans l’urgence : vecteur d’anomalies

Il n’est pas question ici de remettre en cause la volonté de s’unir ni les ambitions de victoire  électorale à très court terme de la Nupes dans l’intérêt général. D’ailleurs, personne n’aurait aimé se retrouver dans la position des dirigeant·e·s de gauche, qui devaient, en quelques jours, attribuer des centaines d’investitures. Sans prendre le temps donc de connaître l’identité de tous·tes les candidat·e·s, la manière dont iels sont perçu·e·s localement et leur inscription ou non dans un projet sincère de rupture avec le néolibéralisme. 

Heureusement, le programme de la Nupes et ses 650 mesures récemment dévoilées, mettent au clair la politique qui sera menée par le gouvernement Mélenchon. Cela dit, même en anticipant une majorité absolue à l’Assemblée Nationale, la Nupes devra faire voter ses lois à certain·e·s élu·e·s de gauche favorables à la social-démocratie. Si ces cas de figure semblent n’être que des exceptions, ils mettent concrètement dans l’embarras de nombreux électeur·rice·s, ils justifient aussi les candidatures dissidentes de candidat·e·s de divers gauche qui refusent de voir leur circonscription orpheline d’aspirations disruptives. Car cet accord électoral ressemble davantage à un jeu de chaises musicales et de parachutages qu’à une volonté d’investir dans chaque circonscription les militant·e·s les plus engagé·e·s localement. La nouvelle union doit fédérer autour d’un projet en rupture avec le modèle néolibéral, un·e candidat·e dissident·e de la gauche radicale sera toujours plus légitime à représenter la gauche qu’un·e candidat·e Nupes de la social-démocratie.

Plusieurs candidatures font état de ces anomalies, dont celle de Raphaël Arnault, militant antifasciste et soutien de Mélenchon lors de la campagne présidentielle. Il se présente face à Hubert Julien-Laferrière dans la 2eme circonscription du Rhône. Ce dernier, député sortant, s’est fait élire en 2017 sous l’étiquette de la République En Marche, bien qu’il ait quitté le groupe parlementaire de la majorité en 2020. R. Arnault affirme sur Le Média que les militant·e·s de la gauche radicale ne se sentent pas représenté·e·s par cette candidature Macron-compatible de la Nupes, Arnault est d’ailleurs soutenu par le NPA. Son objectif n’est pas de porter préjudice à la Nupes, mais de réparer cette anomalie qui reste un cas rare. En effet, s’il est élu, Arnault considère qu’il sera plus légitime à s’inscrire dans l’union de la gauche qu’un ex-député de LaREM, il ne se définit donc pas comme dissident. Il se sent localement légitime, aussi pour avoir toujours vécu, travaillé et milité dans cette circonscription. 

Zoom sur la candidate Amandine Bonifacio

Je vous rassure, on ne parlera pas que des anomalies, mais aussi des candidat·e·s de la Nupes qui nous donne envie de vivre ce quinquennat sous ce gouvernement de gauche. Parmi les quelques candidat·e·s contacté·e·s par Fsociété, la réponse d’Amandine Bonifacio, investie dans la 9eme circonscription du Pas-de-Calais, se démarque des réponses politiciennes habituelles. 

La militante investie par la France Insoumise, se définit d’abord comme “une femme de gauche”, “avant d’etre une militante d’appareil”. Elle refuse cette “mode qui consiste à gommer le clivage droite/gauche”, d’autant plus après des décennies sans gouvernement de gauche. La trentenaire considère sa génération comme “orpheline” du triomphe des valeurs de gauche. Ce qui nous intéresse surtout dans cette candidature, c’est qu’Amandine Bonifacio n’est pas connue du grand public, mais son travail de l’ombre en fait une militante acharnée, elle pour qui “l’intérêt collectif prime toujours sur l’intérêt personnel”. En effet, la Pas-de-Calaisienne peut annoncer fièrement sa présence dans les luttes locales de terrain, contrastant avec les femmes et hommes politiques hors-sol et déconnecté·e·s du réel. 

A. Bonifacio était présente dans les rassemblements pour la survie des “hôpitaux de Béthune/Beuvry et de l’EPSM de Saint venant”. La militante insoumise et ses camarades (dont la députée insoumise Caroline Fiat) ont été “aux côtés des syndicats, à l’initiative d’appels à la mobilisation pour le maintien de leurs services”. La candidate Nupes a aussi manifesté aux côtés des ouvriers, dont ceux de Bridgestone. Elle a défendu la culture, “première sacrifiée des politiques anti-covid du gouvernement, en participant à des caisses de grève pour soutenir la mobilisation des employés de la comédie de Béthune”, la culture étant un domaine qui lui est cher puisqu’elle est elle-même Artiste/Créatrice. Elle a été présente aux cotés des étudiants hostiles à la réforme de parcours sup, “aux côtés des gilets jaunes dans plus de 150 manifestations”, ou encore “aux côtés des retraités lors des manifestations contre la réforme des retraites et pour une revalorisation de leur pension.”

Amandine Bonifacio est ainsi ravie de voir la gauche s’unir autour de Mélenchon, elle ne cache pas son enthousiasme de contribuer à mener enfin une politique de gauche en accord avec ses convictions :

« Je ne peux que me mettre au service de cette union qui fera vaincre nos valeurs communes. Car au-delà des petites différences qui peuvent être propres à chaque sensibilité : il y a ce désir de gommer l’exclusion au maximum, de sauver ce qui nous permet de vivre ensemble, qui doit nous rassembler plus qu’il nous divise. Si je devais trouver quelques mots qui caractérisent mon engagement : ce serait solidarité, empathie, respect du vivant et de la nature. Je retrouve cette volonté dans l’ensemble des actions et propos de ma famille de gauche. C’est tout naturellement que je la rejoins et que je mets ma jeunesse au service de cet engagement. J’ai compris, du haut de ma trentaine d’années, que tout est politique. Que je dois contribuer à infléchir la politique locale et nationale dans ce sens : c’est pourquoi je considère que je dois monter dans ce train de l’Union de la gauche : formidable opportunité pour qu’enfin, les valeurs que je défends soient présentes, dans ma région et dans mon pays. »

Amandine Bonifacio pour Fsociété.
Photo : Amandine Bonifacio (Facebook)

Au milieu des 577 investitures de la Nupes, ni Amandine Bonifacio militante de terrain, ni l’ex-député de LaREM Hubert Julien-Laferrière, ne sont représentatif·ve·s de l’ensemble des candidat·e·s. Iels illustrent cependant deux réalités contradictoires de la Nupes : des candidatures de militant·e·s de terrain et des candidat·e·s sociaux-démocrates. On se réjouit toujours de voir des militant·e·s citoyen·ne·s de gauche accéder à l’Assemblée Nationale, mais la Nupes ne peut pas gommer en un temps très limité toutes les candidatures opportunistes issues du vieux monde. Il n’y a donc pas de contradiction à espérer la victoire de la Nupes aux législatives, tout en votant pour un·e candidat·e dissident·e de la gauche radicale (dans l’une des quelques circonscriptions où les valeurs de gauche anti-néolibérales ne sont pas incarnées par le ou la candidat·e Nupes). D’ailleurs, la gauche unie n’a pas de grande inquiétude à avoir au 1er tour, c’est au 2eme tour que la mobilisation sera primordiale pour écarter les candidat·e·s de la droite et de l’extrême droite.

© B. R.