Pour la deuxième année consécutive, je me suis lancé dans l’expérience du jeûne du ramadan, pour des raisons non religieuses (n’étant ni de confession musulmane ni croyant). Si le ramadan dépasse la seule pratique du jeûne en étant une démarche spirituelle, le pratiquer sans être musulman permet de nouer des liens de solidarité, de questionner son corps et son esprit, et même de détoxifier son organisme. Retour d’expérience.

Photo de couverture : Sandy Huffaker/The IIP Photo Archive.

A la base, une simple curiosité

La première raison qui m’a poussé à pratiquer le jeûne du ramadan, fut une simple curiosité spontanée. Début 2021, je me suis retrouvé en collocation avec un de mes meilleurs amis, un garçon musulman venu de Bengladesh. Quand j’ai appris que le ramadan commençait, je n’avais aucune projection d’y participer. J’ai simplement suggéré à mon ami que j’essayerais le jeûne une journée, histoire d’être solidaire et de partager son rythme de vie. 

L’idée de rompre le jeûne ensemble et de partager un repas dont on s’est privé toute la journée, était séduisante. Après cette première journée, malgré la difficulté de ne pas boire qui était nouvelle pour moi, je me suis dit pourquoi ne pas prolonger l’expérience un peu plus longtemps, j’arrêterais quand j’en aurais assez. Puis j’y ai pris goût (prendre goût au jeûne est un comble), je me suis habitué à ce rythme et à la grande satisfaction de rompre le jeûne chaque soir. Ce dîner a une saveur particulière pendant le ramadan : on sait qu’on a mérité ce moment. C’est par la privation qu’on réalise le plaisir des besoins les plus basiques. Encore plus dans une société de l’abondance, de la surconsommation et de l’accès sans effort à la nourriture -pour ceux qui y ont accès-. On est simplement plus heureux qu’à l’ordinaire de partager ce repas.  

La présence de mon ami a donc été déterminante pour mon premier ramadan, la motivation venait de la simple envie de partager cette expérience avec lui. Les premières nuits, c’est lui qui me réveillait à 3h du matin pour prendre le dernier repas avant l’aube. Autant vous dire que sans conviction on ne se lève pas au milieu de la nuit !

Profondément, une motivation politique

La raison profonde qui m’a poussé à rééditer cette expérience en 2022, alors que je ne vis plus avec des personnes musulmanes et que je suis devenu la personne qui agit différemment de mon entourage, est donc politique. Je n’ai pas commencé le ramadan en l’objectivant comme un acte militant, mais je crois bien que c’est la raison profonde qui me pousse à continuer.

Parfois, dans ma vie, je me suis retrouvé entouré d’amis musulmans qui pratiquaient le ramadan. Alors, pourquoi pas, pour une fois, m’adapter à eux ? Pourquoi ne ferions-nous pas ce pas en avant, cet effort de comprendre et de partager les cultures de ceux qui cohabitent avec nous ? Alors qu’on demande sans cesse à ces communautés de s’intégrer, voire de s’assimiler, donc de s’adapter à “nous”. 

Aujourd’hui en Occident, les musulmans ne peuvent pas pratiquer leur religion sans se sentir exclus, notamment par l’influence de groupes racistes mais aussi des discours dominants. La loi séparatiste du gouvernement Macron, discriminante au possible, indique clairement aux musulmans qu’ils ne sont pas chez eux en France. Et même quand les lois ne sont pas adoptées, le simple fait de retransmettre tous les jours du Zemmour à la télé, de penser l’interdiction du port du voile dans l’espace public ou dans les enceintes sportives (cf. le combat des Hijabeuses), et de laisser penser que la culture française est essentiellement blanche et chrétienne derrière la théorie du grand remplacement ou la sélection des réfugiés en fonction de leur provenance et leur couleur de peau ; discrimine évidemment les musulmans et les renvoie dans une position d’altérité raciale

S’intéresser à la culture musulmane et ses pratiques, n’est donc pas de trop. La situation politique française ou occidentale et la montée de l’islamophobie dans l’ensemble de la classe politique bourgeoise, exige que nous soyons solidaires. Cela ne vous oblige pas à pratiquer le ramadan, c’est plutôt une attitude que je cherche à transmettre. Une attitude de curiosité, de bienveillance et de solidarité avec des cultures qui nous sont différentes, en particulier quand elles sont discriminées. Et non une attitude de jugement, de mépris et de domination. 

D’ailleurs, l’amalgame entre la pratique religieuse de l’islam et l’extrémisme religieux des islamistes, est régulièrement faite et verbalisée par nos dirigeants politiques et les médias. L’extrémisme et l’autoritarisme religieux sont pourtant aux antipodes de l’essence solidaire et charitable des religions. On a tendance à dire que les religions ne créent que guerres et conflits, ce serait les confondre avec les causes premières des violences : l’impérialisme, l’accaparement et l’accumulation des richesses, l’altérité raciale ou encore la hiérarchisation sociale. 

Pour appuyer mon propos, les chiffres montrent la discrimination des musulmans dans notre pays, si tant est que l’on prenne la peine de les écouter. Le principal problème est que les discriminations du quotidien sont difficilement quantifiables et peu documentées, et pourraient même être sous-estimées. Il est aussi difficile de distinguer la discrimination religieuse de la discrimination ethnique. Mais une enquête réalisée par la Dilcrah et la Fondation Jean-Jaurès, réalisée par l’Ifop en 2019 révèle que 40% du millier de musulmans français interrogés s’estiment victimes d’un comportement raciste au cours des 5 années précédant l’enquête (contre 17% des non-musulmans) : notamment des insultes ou des injures à propos de leur religion pour 24% d’entre eux, ou encore un nombre élevé de discriminations dans le domaine du logement et de l’emploi (y compris pour les plus diplômés).

Les bienfaits du jeûne

La principale remarque “négative” (bien que transmise en toute bienveillance) qui m’a été énoncée est celle de la santé : “ne pas boire ? Ce n’est pas sain.” La première chose à savoir est que le jeûne est déconseillé aux jeunes enfants, aux personnes âgées, aux femmes en période de menstruation, enceintes ou qui allaitent, ou encore aux personnes malades dont le jeûne aggraverait leur maladie. 

Ensuite, des conseils que j’ai pu recevoir de la part de musulmans ou de personnes issues de culture musulmane, il m’a été conseillé d’écouter mon corps, d’y aller progressivement (ne pas réaliser forcément un mois de jeûne sec dès la première année) et surtout de suivre mon propre chemin spirituel : l’important n’est pas tant la pratique stricte et parfaite, mais le don de soi, l’effort personnel de ne pas céder à des tentations futiles. Bien sûr, qui le souhaite pourra s’efforcer de devenir un pratiquant exemplaire, mais les intentions de solidarité et d’adopter de bons comportements, prévalent sur la performance pure. 

Il faut donc comprendre que la santé prévaut sur tout le reste, et que le jeûne appliqué aux organismes en bonne santé, est censé nous apporter de nombreux bienfaits. J’ai par exemple rompu une -et une seule- journée de jeûne sec durant ce mois d’avril : à cause d’un manque de sommeil et d’une exposition prolongée au soleil, j’ai ressenti une déshydratation et un mal de crâne, j’ai donc bu de l’eau ce jour-là et me suis contenté exceptionnellement d’un jeûne à l’eau pour quelques heures. 

Selon un article de la BBC Afrique, un jeûne bien pratiqué a des bienfaits insoupçonnés pour le corps et l’esprit, études scientifiques à l’appui. Les premiers jours sont certes difficiles. Le corps, n’étant pas habitué à jeûner, peut ressentir certaines faiblesses liées à une baisse du taux de sucre dans le sang. Mais dès le troisième jour, le corps devrait s’habituer grâce à la décomposition de graisses et sa conversion en sucre dans le sang. 

Toujours dans l’article de la BBC, le docteur Razeen Mahroof évoque des bienfaits importants dès la deuxième semaine de jeûne. En effet, l’apport constant de calories empêche le corps de réaliser d’autres tâches, comme celle de s’auto-réparer. Grâce au jeûne et au repos de notre système digestif, le corps peut enfin s’orienter vers des processus de guérison et même de combat contre des infections.

La dernière quinzaine du jeûne est la plus bénéfique : une cure de détoxification s’effectue dans notre côlon, notre foie, nos reins et notre peau. La mémoire, la concentration et le taux d’énergie peuvent s’améliorer. De plus, le fait de pratiquer un jeûne intermittent permet aux muscles d’être rassasiés en aliments et liquides.

Tous ces bienfaits sont observables sur des organismes en bonne santé, mais aussi grâce à une pratique correcte (comme le reste de l’année du reste). Il est essentiel de se nourrir suffisamment, manger équilibré, et boire suffisamment d’eau pendant la nuit. Le sport peut être pratiqué, sans excès et sans exposition à de trop fortes chaleurs, auquel cas le risque de déshydratation serait trop important. Il est évident qu’un jeune mal pratiqué peut être dangereux, mais on pourrait parler aussi des dangers de la non-pratique occasionnelle du jeûne : en se nourrissant 3 fois par jour 365 jours par an, le système digestif n’observe jamais de période de répit et manque de réparer et de régénérer ses cellules. Période de ramadan ou non, sachez qu’un jeûne intermittent et occasionnel peut vous faire le plus grand bien. Bien sûr, je ne suis pas expert en nutrition, mais les ressources scientifiques sur les bienfaits du jeûne fleurissent. 

D’un point de vue personnel, j’ai ressenti très concrètement ces bienfaits. D’un point de vue physique : une véritable amélioration de ma digestion et une bonne énergie physique, y compris en phase de jeûne. D’un point de vue mental surtout : l’amélioration de ma bonne humeur ne fait pas de doute, de même qu’une baisse de l’anxiété et une sensation générale de bien-être. Ce qui m’amène presque à regretter que le ramadan se termine déjà.   

Ce que je regrette

Malgré tous les bienfaits cités, un mois de ramadan n’est pas sans difficulté. Mon principal problème a été celui du sommeil : en mangeant le soir puis très tôt le matin (vers 4h), je n’ai jamais su trouver le bon rythme et j’ai longtemps hésité entre couper ma nuit en deux parties, ou ne dormir qu’à partir de l’aube. De plus, j’avais tendance à me coucher après le repas, me provoquant des brûlures d’estomac. Ma prochaine expérience de jeûne nécessitera soit une meilleure discipline de sommeil, soit une adaptation des horaires de jeûne en fonction de mon rythme de vie.

Même si plusieurs de mes amis ont fait le ramadan, je me suis la plupart du temps retrouvé entouré de personnes -amis ou famille- ne le pratiquant pas. Il peut donc être inconfortable de refuser une boisson ou un encas, ou de demander aux autres de s’adapter à ma situation et mes horaires. Même si personnellement, j’ai toujours eu un malin plaisir et une fierté d’annoncer que je pratiquais le jeûne.

Je regrette enfin que nos sociétés occidentales ne soient pas adaptées aux jeûneurs du ramadan, malgré la présence d’une communauté musulmane conséquente. Mon souhait est sans doute utopique, mais j’aimerais qu’un jour un pays occidental adapte ses institutions pour faciliter la pratique du ramadan : en permettant notamment aux musulmans de réduire et/ou de décaler leurs horaires de travail. Ce serait un signe magnifique de solidarité et de démocratie, à travers l’ouverture et l’intégration réelle des minorités religieuses. Mais le néolibéralisme n’accordera évidemment pas la diminution de l’oppression des travailleurs, encore moins pour les musulmans, surtout quand on connaît son penchant pour l’exclusion des personnes racisées

Mon bilan du ramadan est sans appel. En dehors d’un ramadan estival (fortes chaleurs et nuits très courtes) ou de la pratique d’un travail dur/physique, qui m’auraient fortement dissuadé de respecter les horaires de jeûne, il n’existe quasiment que des bonnes raisons de réitérer cette expérience. Le jeûne en lui-même, isolé du ramadan, est une pratique bénéfique qui me semble importante à reproduire pour ma santé et mon bien-être. Surtout, quand le jeûne s’accompagne d’un sentiment de solidarité, d’expérience partagée avec des amis, et de soutien à une minorité largement discriminée dans mon pays, je n’ai plus de doute sur le fait que mon jeûne annuel doit se dérouler pendant la période du ramadan. Eid Mubarak !

© B. R.