
Photoreportage de Julien Gate.
En 2020, depuis le site de Sanofi Pasteur à Marcy-l’Étoile, Emmanuel Macron faisait une grande annonce à la presse. Au sortir de la crise Covid, Sanofi devait devenir un acteur central de la souveraineté sanitaire française. Le 10 septembre 2025, à l’occasion de l’appel « Bloquons tout », le discours des salariés en grève à l’entrée du site industriel pharmaceutique Sanofi de Maisons-Alfort est tout autre.
Pour Nassim, syndicaliste CGT : « Sanofi, c’est plus de 12 000 emplois détruits depuis 2009, 24 sites fermés ou cédés. Nous sommes à Maisons-Alfort, les derniers à en faire les frais. »
« Vendus, avec les murs »
Quelques mois plus tôt, les salariés de l’usine Sanofi de Maisons-Alfort avaient appris la vente de leur site de production à l’entreprise allemande Adragos Pharma.
Cette annonce a été un choc considérable, ressentie comme un abandon effaçant brutalement l’engagement des salariés pour l’entreprise. Un salarié a confié son sentiment d’être « vendus, avec les murs », perdant les garanties d’un contrat Sanofi au profit d’un contrat de sous-traitant.
Sur place, les grévistes font écho au désarroi de certains, présents depuis des décennies. Ils regrettent l’époque où Sanofi était encore Rhône-Poulenc, une entreprise 100 % française où chacun était traité comme un membre de la famille. D’autres salariés, arrivés depuis moins d’un an à Maisons-Alfort avec femme et enfants, pensant rompre avec des années d’incertitudes, ont vu leurs espoirs s’effondrer brutalement.

Stratégie de fermeture et externalisation
Malgré 1,5 milliard d’aides publiques et de crédits d’impôt reçus en dix ans, Sanofi ne cesse de fermer des sites industriels et de supprimer des emplois.
L’abandon du site de Maisons-Alfort n’est pas un cas isolé : il s’inscrit dans une stratégie engagée depuis plusieurs années. Sanofi se sépare de ses activités industrielles pour se concentrer sur la recherche et l’innovation. Sur place, l’un des grévistes explique que, pour justifier ces abandons, les sites de production sont assimilés à des charges pesant sur la rentabilité de l’entreprise. À l’inverse, les sites administratifs et de recherche deviennent les sources de profit, confirmant la mise en œuvre de cette stratégie.
Sanofi, cotée au CAC 40, affiche depuis 30 ans une augmentation constante de ses dividendes versés aux actionnaires. Ne souhaitant pas assumer de plans sociaux qui nuiraient à son image, Sanofi externalise ses restructurations en les confiant à des repreneurs.
Ici, à Maisons-Alfort, le fossoyeur est Adragos Pharma, une entreprise de sous-traitance allemande contrôlée par un fonds d’investissement. Elle présente son activité en ces termes :
« Pour chaque site que nous reprenons, nous optimisons et nous investissons. Lorsque nous avons acquis ces sites, ils étaient dans un certain état, et nous nous sommes assurés d’améliorer leur fonctionnement. »
Des engagements temporaires et des incertitudes
Dans le cadre de son retrait de Maisons-Alfort, Sanofi s’engage à continuer d’y faire produire pendant quelques années le Lovenox, un anticoagulant utilisé en milieu hospitalier. Cet engagement sécurise temporairement les carnets de commandes.
De son côté, Adragos Pharma sera tenu par la loi à un accord de transition en cours de négociation. Cet accord doit permettre aux salariés de conserver un maximum d’éléments de leurs contrats actuels pendant trois ans (rémunération, temps de travail, organisation…).
D’apparence rassurantes et protectrices pour la production et l’emploi, ces mesures masquent de nombreuses incertitudes et violences pour l’avenir.

« Après trois ans, tout sera renégociable. »
Comme l’a expliqué le 24 septembre Laurent, délégué syndical central CGT, aux salariés rassemblés devant le siège social de l’entreprise à Gentilly :
« Il faut bien comprendre que dans un accord de transition, tout ce qui constitue ce maintien social, au-delà des trois ans, doit être rediscuté. Tout ce qui vous garantit aujourd’hui vos revenus liés à nos accords [avec Sanofi], ou le temps de travail, ou l’organisation… Tout cela sera remis en cause après trois ans. Quand on interroge aujourd’hui la direction sur les intentions d’Adragos, c’est un grand flou. Et quand on nous donne du flou, on peut s’attendre au pire : que tous ces accords soient dénoncés dans le futur. »
L’inquiétude est donc vive : loin de rassurer, l’accord de transition apparaît comme le premier pas vers un recul inexorable des droits sociaux et une dégradation des conditions de travail.
Le délégué FO présent a ajouté : « Strictement tout est renégociable au bout de trois ans. Et sûrement à la baisse, puisque Adragos sera challengé sur les coûts. Même les garanties comme le capital décès en cas d’accident risquent de disparaître. On perdra tout… »
Désengagement territorial et financiarisation
Cet abandon des salariés illustre aussi un désengagement territorial. Comme l’a rappelé le lendemain, le maire de Gentilly, Fatah Aggoune, devant le siège social de Sanofi à Gentilly :
« La relocalisation de notre site historique de Gentilly à La Défense, ce n’est pas neutre. La Défense, c’est le cœur de la financiarisation mondiale, pas un lieu d’industrie. Ici, à Gentilly, sur les bords de la Bièvre, l’industrie pharmaceutique a prospéré : Laboratoires Vila, Rhône-Poulenc, Sanofi-Aventis puis Sanofi. Aujourd’hui, environ 3 700 salariés travaillent encore sur ce site. Demain, ils iront dans un site plus petit, avec moins d’espace. » Avant d’ajouter :
« L’équation est simple : certains seront laissés sur le bord du chemin. Nous ne pouvons pas accepter cette perte de souveraineté sanitaire. Comme vous à Maisons-Alfort, nous exigeons zéro licenciement, un moratoire sur les cessions et l’arrêt immédiat des aides publiques tant que ces garanties sociales ne sont pas assurées. »

Criminalisation de l’action syndicale
À cela s’ajoute une stratégie de criminalisation de l’action syndicale mise en œuvre par la direction de l’entreprise.
Le 29 septembre 2025, à partir de 7h, la direction a convoqué certains représentants du personnel du site de Maisons-Alfort pour sanction disciplinaire. Sur place, dès 6h30, de nombreux soutiens étaient présents. Ils nous ont fait part de la volonté de la direction, par cette action, de faire peur aux salariés pour éviter qu’ils ne se mobilisent. Cette stratégie de criminalisation est devenue un classique dans les entreprises avec une forte culture syndicale, telles que La Poste ou la RATP.
Cette mobilisation pose problème à une direction soucieuse des impacts médiatiques. Abandonnant ses sites de production, il ne reste à l’entreprise que ses brevets et son image de marque — qu’il ne faut pas ternir afin de continuer à bénéficier des financements publics.
Cette cession pose aussi un autre type de violence : celle d’une entreprise qui, tout en profitant abondamment d’argent public, redistribue des milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires. Sanofi, entreprise de santé, réalise en partie ses profits grâce à la Sécurité sociale, aux exonérations de cotisations sociales, aux crédits d’impôt et à de multiples aides publiques.
Une lutte qui dépasse Maisons-Alfort
Lors d’une de ses interventions, Nassim a rappelé que leur lutte dépasse largement le cas de Maisons-Alfort :
« Aujourd’hui, nous ne sommes pas uniquement des Sanofi, nous sommes aussi des Michelin, des Novartis, des Bayer… La désindustrialisation touche tous les secteurs. Mais Sanofi, vitrine mondiale et symbole du savoir-faire français, illustre de façon brutale ce processus : 12 000 emplois détruits depuis 2009 et 24 sites fermés ou cédés. Faisons de Maisons-Alfort le bastion de lutte où la volonté capitaliste se brise contre la détermination des travailleurs. »

Jean-Louis, lui aussi syndicaliste CGT, a lui souligné l’enjeu de souveraineté :
« Macron avait dit pendant la crise Covid que la France retrouverait grâce à Sanofi sa souveraineté sanitaire. C’est un mensonge de dire qu’un pays peut avoir de la souveraineté avec une entreprise privée ! »
Vers un pôle public du médicament
Face à ce constat, la CGT propose la création d’un pôle public du médicament, sous forme de GIP (Groupement d’Intérêt Public), réunissant recherche et production, afin de soustraire ce bien essentiel aux logiques financières et de garantir un accès sûr et équitable aux traitements.
Derrière Maisons-Alfort, c’est toute une politique de cession des sites industriels qui menace l’avenir de la production pharmaceutique en France, alors même que Sanofi continue de toucher des milliards d’aides publiques et de verser des dividendes record.
Les salariés de l’usine pharmaceutique Sanofi de Maisons-Alfort sont en grève depuis 3 mois et tiennent un piquet de grève devant l’usine au 180 rue Jean Jaurès, 94700 Maisons-Alfort. Vous pouvez les rencontrer sur place, les soutenir via leur caisse de grève, et suivre leur mobilisation sur Facebook.

Photoreportage de Julien Gate.