“Les revendications ne semblent pas bien identifiées, ni claires, ni avoir un moteur profond” estime Coralie Dubost sur BFM TV. La députée LaREM semble oublier que ce type de mouvement spontané est certes hétérogène mais traduit justement une colère profonde, qui dépasse largement la contestation du passe vaccinal. Les gens ne se mobilisent ni ne traversent la France entière par pur plaisir. La colère du peuple ne peut que traduire un mécontentement profond, une souffrance au quotidien et une humiliation face à un gouvernement qui le méprise, l’oppresse et le réprime. Nous pourrions jouer la surprise et prétendre que nous ne connaissons pas la portée politique du mouvement, mais nous avons un précédent : les Gilets Jaunes. Ces derniers ont montré que leurs revendications dépassent largement le cadre de l’augmentation du prix du pétrole pour se concentrer avant tout sur des demandes de justice fiscale et démocratique. La différence étant que les manifestants s’attendent désormais à subir la répression d’un gouvernement totalement décomplexé dans son rapport à la violence. Revue de presse.

Et si le convoi de la liberté qui a vu convergé des milliers de manifestants à Paris le samedi 12 février, n’était qu’une forme actualisée des Gilets Jaunes ? Entre temps, ce n’est pas simplement le Covid qui est apparu, mais une instrumentalisation de ce dernier pour mettre en place des mesures liberticides, fracturer un peu plus la population et stigmatiser ceux qui ne peuvent plus faire confiance en la classe politique. D’où cette demande, pourtant simple, de retrouver un semblant de liberté deux ans après le début de la crise sanitaire. Deux ans après lesquels le peuple ne demande rien de plus que la liberté fondamentale de vivre pour autre chose que le travail. C’est en tout cas ce qui ressort des propos des manifestants motorisés interrogés par Rémy Buisine pour Brut :

« Ce que veulent les citoyens c’est avoir le 15 du mois un frigo rempli, pouvoir amener leurs enfants au cinéma, au restaurant, en vacances. Ils veulent profiter de la vie tout simplement. Travailler est nécessaire, pas de soucis, mais on veut aussi profiter des choses simples. »

« Nous voulons la liberté de déplacement, de vivre normalement, d’aller au restaurant. »

« Ce qui me motive ? C’est un tout : d’une part le passe vaccinal, mais aussi toutes ces augmentations du prix du gasoil, de l’électricité, etc. »

Même son de cloche du côté de l’enquête de Cemil pour Le Média, le ras-un-bol touche un ensemble de préoccupations -principalement économiques- pour Karine :

« Le peuple en a marre de tout : du pass, de la vie trop chère, du prix de l’essence… on va où ?  Il va nous pomper tout notre fric ? Il faut qu’il nous le rende, il y en a marre. »

De la vingtaine de personnes que Cemil a interrogé, domine selon lui un sentiment de dégagisme, d’une classe politique où tout le monde seraient “pourris”, Karine reprend :

« Pour qui on va voter ? Tous les politiques ont des casseroles au c**. Est-ce que c’est normal ? Alors que nous en tant que pauvres citoyens, dans notre pauvre petit métier, on nous demande un casier judiciaire vierge. C’est inadmissible. »

Si le ras-le-bol fiscal domine, un deuxième thème s’invite dans les propos des manifestants, celui de la démocratie. Les revendications sont même ambitieuses, dans un pays prétendu “démocratique” ou la liberté d’expression est bafouée, celles et ceux qui se mobilisent dans la rue ne font plus confiance en la classe dirigeante et veulent redonner le pouvoir au peuple. Un participant du convoi de la liberté déclare à Brut :

« On a envie de redevenir une vitrine en termes de démocratie, de citoyenneté et des droits de l’Homme dans le monde. »

Ce qui motive aussi les manifestants, c’est la volonté de reprendre le contrôle de leur vie. Le pouvoir a déjà frémi lors de la crise des Gilets Jaunes, très tôt sous le quinquennat Macron. La crise sanitaire ne fut qu’un prétexte pour que le pays se tienne sage jusqu’à sa réélection. En effet, les restrictions liberticides liées aux passes sanitaire puis vaccinal et cet état d’urgence permanent ont pour but de paralyser le pays sur le temps long : il ne faudrait pas que les Gilets Jaunes reviennent. La stratégie est claire : en monopolisant la peur sur le virus, le seul ennemi des français serait le Covid. Cela est bien pratique pour instaurer un régime autoritaire sans le nommer : si tu oses manifester pour retrouver ta liberté, tu seras traité d’irresponsable. Comme si avoir traité les Gilets Jaunes de tous les noms, de “foule haineuse” à “individus violents” en passant par “conspirationnistes”, ne suffisait pas à les décrédibiliser. Comme si les répressions policières n’étaient pas en reste avec 2500 Gilets Jaunes blessés et qu’il fallait une nouvelle justification pour frapper encore plus fort. C’est donc de cet état de paralysie que les citoyennes et citoyens tentent de sortir en prenant la route vers la capitale, les personnes interrogées par Brut révèlent en tout cas une détresse psychologique à surmonter :

« Les gens sont à bout, ils n’en peuvent plus, il faut absolument faire quelque chose. »

« On se sentait seuls. On voit ici toute une émulation. On trouve enfin un sens à ce qu’on est en train de faire. […] Tous ces masques, tous ces protocoles et tous ces tests vont étouffer nos enfants au fur et à mesure du temps, et vont en faire des gens névrosés, des adultes complètement mal dans leur peau. »

La sensation d’isolement est partagée par une manifestante venue d’Alsace et interrogée par Blast, pour qui le passe vaccinal pose de gros problèmes “éthiques et philosophiques” :

« Le passe vaccinal me pose souci dans la vie de tous les jours. Je n’ai pas envie d’être fliquée, que l’on contrôle mon identité. »

Alors oui, on y entend aussi des théories du complot, des manifestants interrogés par Cemil disent d’une part être venus chercher la “liberté après 30 semaines consécutives de manifestations anti passe“, et d’autre part qu’on “exagère grandement la gravité du virus, qui sert de prétexte à un contrôle social total.” Difficile de leur donner totalement tort, mais les propos dérivent parfois vers des idées franchement complotistes :

« Le Covid a été fait pour attaquer l’Homme, d’abord manipulé aux Etats-Unis avant de l’envoyer à Wuhan. C’est le plan des Illuminati, ils savaient très bien qu’en 2050 la Terre ne serait plus vivable pour l’Homme donc il faut éliminer du monde. La Terre est capable de supporter 18 milliards d’habitants. Il suffit juste d’être plus conscient de l’écologie et de la pollution : éviter les circuit long quand on voit que des briques de lait françaises partent en Chine… Tout est fait pour enrichir les plus gros. Et nous à la fin du mois on a plus rien. »

Le constat ici dressé est assez étrange, à la fois complètement lucide sur les injustices environnementales et économiques du néo-libéralisme, mais aussi convaincu par des idées complotistes. Comme si seul un complot mondial pourrait donner du sens à la folie de ce système qui favorise constamment la marché devant les droits humains les plus basiques. La rhétorique politique qui consiste à culpabiliser les comportements des citoyens plutôt que la politique des gouvernants, y compris par ceux qui se définissent de “gauche”, a créé un réel fossé entre la classe bourgeoise et/ou politique et les classes les plus pauvres qui ne savent plus qui croire. Mais les trahisons à répétition des individus au pouvoir ont au moins eu le mérite de mettre en lumière les incohérences du système néolibéral. En désertant ce type de mouvements et ses préoccupations, la “gauche” traditionnelle ne fait que semer la confusion dans l’esprit des manifestants et laisse le champ libre à l’extrême droite.

Les manifestants sont donc à la recherche d’une liberté perdue, d’abord d’expression par le biais de la manifestation, un droit pourtant fondamental qui vient s’ajouter à la liste des libertés réprimées par le gouvernement Macron. On s’y est presque habitué, les Gilets Jaunes gazés, mutilés, éborgnés en sont terrorisés. A l’approche des présidentielles, le plan de paralysie du gouvernement a failli être mis à mal, c’est donc dans un état de panique que la répression s’est faite de manière disproportionnée et violente. 

L’impression laissée à Cemil pour le Média et Nantes Révolté (média par ailleurs victime d’une dissolution prochaine par le gouvernement pour être un média d’opposition, illustrant encore une fois le caractère autoritaire de ce gouvernement), est celle de manifestants pacifiques : pas de casse matériel. Les manifestants ne se mobilisent pas en opposition à la police. “ J’en veux après le système ! C’est le système qui est pourri ! “ déclare un manifestant devant une troupe de policiers (images interceptées par Blast). Pas même un seul slogan d’extrême-droite n’a été entendu par les reporters de Nantes Révolté. 

Bilan de la répression ? Selon Nantes Révolté

« Les amendes pleuvent. La police est partout. […] Dès 13h les premières grenades lacrymogènes saturent déjà l’air de la “la plus belle avenue du monde”. Des policiers explosent la vitre d’une voiture. Un automobiliste est braqué par une arme à feu. Des véhicules sont emmenés à la fourrière. […] Pendant des heures, la police charge, tire des gaz sans raison après de longs intermèdes de calme. Les agents de la BRAV, agressifs, commettent des tabassages en série, au hasard. Ils relâchent ou interpellent selon leur bon vouloir. […] Il y a ces touristes anglais avec deux enfants en larmes, le visage brûlé. Ce jeune frappé au sol par des policiers […]. Des terrasses et des automobiles gazés. Une dame âgée, cliente d’un restaurant guindé, soignée par des manifestants. Une jambe fracturée en deux lors d’une interpellation. Un homme, le visage en sang. […] Un homme tombe inanimé et convulse au milieu des policiers qui gazent les témoins. »

Une violence policière qui contraste avec le calme des manifestants. Pour le média d’opposition, les actes fascistes et d’extrême droite “venaient d’individus cagoulés, portant matraque et uniformes.”

Jérôme Rodrigues, l’une des figures du mouvement des Gilets Jaunes, est le symbole d’un gouvernement qui réprime l’ensemble des luttes sociales. Déjà éborgné par la police lors d’une manifestation des Gilets Jaunes, il devra comparaître en justice pour être -à tort- l’un des organisateurs du convoi de la liberté, après notamment 48h de garde à vue. Il fait partie d’une cinquantaine de personnes interpellées ce jour-là.  Ce qui alarme le média Cerveaux Non Disponibles, c’est sa capacité à ressembler et surtout à soutenir chacune des luttes sociales où le gouvernement fait constamment la sourde oreille

« Rodrigues a été présent sur toutes les luttes importantes depuis les GJ : violences policières, islamophobie, loi sécurité globale, écologie, retraites… […] Son quotidien, c’est d’être harcelé régulièrement sur internet par l’extrême droite, par des policiers ou parfois des comptes macronistes […], d’être contrôlé à chaque mobilisation et souvent arrêté arbitrairement. […] Ce sont les renseignements qui le suivent ou l’attendent en bas de chez lui, la BAC qui se moque de lui parce que la police lui a fait perdre un œil. A la sortie de cette nouvelle arrestation, il décrit l’humiliation qu’il a subi durant cette garde à vue. […] Si Jérôme n’est pas un leader, il est un symbole de l’autoritarisme et de la terreur d’Etat, qui ne supporte pas que des corps puissent se lever, et même se soulever. »

Cerveaux Non Disponibles – Publication 16/02/2022

Si le convoi de la liberté française n’a pour l’instant rien de comparable avec le modèle canadien en termes de mobilisation et pourrait être éphémère sous cette forme, il n’en reste pas moins un révélateur des positions politiques à quelques mois des élections. Qui essaye de comprendre la population, qui la méprise ? Pas de nouveauté par rapport aux Gilets Jaunes, la “gauche” modérée confirme sa déconnexion avec le peuple en se désolidarisant de tout mouvement populaire, spontané et forcément confus au vu de la diversité des manifestants qui le composent. Cette déconnexion participe forcément à la montée des votes pour l’extrême-droite ou de l’abstention. Une extrême-droite justement qui soutient les manifestants, dit les comprendre et profite de la confusion ; pourtant bien loin de l’humanisme dès lors qu’elle concentre sa haine sur une partie de la population : les étrangers et les racisés, quand les préoccupations des Français sont d’abord fiscales. Enfin, le centre et la droite montrent un visage autoritaire lui aussi extrême, en réprimant de manière disproportionnée et violente ceux qui exercent leur droit de manifester

Le seul humanisme qui soit est celui qui cherche à comprendre les revendications des luttes sociales qui ne demandent que justice. L’humanisme ne se désolidarise pas d’un mouvement sous prétexte que ses revendications ne sont pas claires. L’humanisme ne concentre pas tous les maux économiques et sociaux sur une partie de sa population. L’humanisme ne choisit pas un entre-soi abstrait pour “la justice climatique et sociale” au détriment des préoccupations des mouvements populaires. L’humanisme ne laisserait pas la police maltraiter un seul de ses concitoyens, ni en manif ni en banlieue. 

© B. R.

Sources :