Photo : mona.artiste.officiel (Instagram)
Si vous avez raté la première partie, c’est à lire ici.

Préparatrice en pharmacie hospitalière, Mona est atteinte d’un handicap invisible ne lui permettant pas de suivre le même rythme que ses collègues. Malgré la reconnaissance de son lourd handicap, ses supérieurs décident d’ignorer son état de santé. Pourtant, Mona est recrutée en tant que travailleuse handicapée, la loi impose un aménagement du travail adapté à sa situation. Mais les intérêts économiques de sa direction auront raison de la considération humaine de leur employée. Le handicap de Mona n’est invisible que pour ceux qui n’y sont pas sensibilisés. Dès lors que sa direction était au courant de ses maladies, son handicap a été invisibilisé et sa santé sciemment mise en danger.

« Je commence à comprendre que rien ne sera facile. J’alerte alors la direction de l’hôpital, la médecine du travail et les syndicats pour trouver une solution. Mais rien ne sera mis en place. Pendant plus d’un an, je serai contrainte d’effectuer des tâches qui me mettront en danger. On me demande de me déplacer d’un bout à l’autre de la pharmacie plusieurs fois par jour, et de porter des cartons de médicaments (notamment de sirops).

Je fais de graves malaises sur mon lieu de travail, nécessitant l’intervention des pompiers. Mais mes collègues et supérieurs se lassent vite de devoir les appeler à chaque fois. En novembre 2017, je fais un énième malaise assise à mon bureau. Ma tête tombe sur mon clavier et je reste dans cette position, inerte. Ma cheffe de service entrera dans la pièce et en ressortira sans me porter secours, pensant que je m’étais endormie. Preuve qu’elle avait parfaitement conscience de l’état d’épuisement dans lequel je me trouvais… Quel chef laisserait son employé dormir sur son bureau sans le réveiller ? Personne ne prendra la peine d’appeler les pompiers, et je rentrerai chez moi épuisée et titubante.

Mon corps me lâche progressivement, et j’enchaîne les arrêts de travail. Chaque jour est un supplice, je ne sais jamais si je vais être en capacité de finir ma journée de travail. Les douleurs s’amplifient et la fatigue aussi. Sans antidouleur, je suis incapable de me lever de mon lit. Et chaque soir, je fond en larmes devant si peu de compassion.

Je frappe à toutes les portes, brandissant ma reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, mais le directeur des ressources humaines de l’époque prend le parti de laisser pourrir la situation, espérant que je parte de moi-même. Mon handicap n’est pas suffisamment perceptible d’après lui, et donc inexistant. Il me prend pour une affabulatrice, et a d’autres préoccupations plus importantes que de s’occuper de mon cas.

C’est pourtant le principe même du handicap invisible, il est difficile à percevoir pour une personne qui n’y est pas sensibilisée. Je me sens perdue, incomprise et insignifiante. Pour la première fois, le fait d’être reconnue comme étant en situation de handicap se révèle être un frein à ma vie professionnelle. Cela est pourtant censé me faciliter la tâche.

Mon état de santé se dégrade de façon alarmante et un matin, je ne peux plus me lever. Les conséquences sont dramatiques. Depuis 4 ans, je passe environ 20h par jour clouée dans mon lit par la douleur et la fatigue. Je perds l’usage de ma jambe gauche et d’autres maladies chroniques s’ajoutent. J’ai été hospitalisée 22 fois, et subi 3 chirurgies dont une en urgence vitale. Heureusement, j’ai pu bénéficier récemment d’une neurochirurgie novatrice en Italie qui m’a rendu la mobilité de ma jambe. 

Toutes mes souffrances auraient pu être évitées si mon employeur avait respecté mes droits. Car ce n’est pas une faveur que je lui demandais, mais juste qu’il applique la loi et me respecte en tant que personne. J’ai été sciemment mise en danger par ses inactions, ses négligences voire même ses maltraitances.

Une procédure est en cours pour obtenir réparation mais rien ne pourra me rendre ce que j’ai perdu, ni apaiser mes souffrances. J’espère juste que mon combat servira d’exemple et que plus jamais une personne handicapée ne sera maltraitée de la sorte sur son lieu de travail, d’autant plus au sein d’un hôpital public. »

Comment est-il possible que même l’hôpital public produise ce genre de drames ? La nécessité de réaliser des économies à tout prix atteint même les logiques de gestion de certains hôpitaux du secteur public : 

« Toutes les entreprises de plus de 50 employés ont l’obligation de recruter des agents reconnus travailleurs handicapés à hauteur de 6% de leur effectif total. Sinon, ils sont contraints de payer une taxe à l’État. Forcément, mon profil était intéressant. Je pense que la direction de mon hôpital y a vu une aubaine pour faire des économies mais n’était pas prête à dépenser de l’argent dans une adaptation de poste. J’ai appris par la suite qu’ils sont coutumiers du fait, recruter des travailleurs handicapés mais capables de travailler sur des postes sans besoin d’aménagement particulier. C’ est une façon de profiter des avantages octroyés par l’État, sans avoir à en subir les inconvénients. »

Mais cet hôpital n’est pas le seul responsable, il entre dans une logique globale d’un secteur public géré de la même manière que le privé, les politiques de casse du système de santé jouent un rôle déterminant dans la difficulté de survie et de gestion des hôpitaux : 

« Ces quinze dernières années, la gestion des hôpitaux en France est devenue catastrophique. Car ils sont à présent gérés comme des entreprises dans une logique de profit. Or la santé n’a pas de prix. Rien que dans mon secteur de la pharmacie hospitalière, les équipes ont été divisées par deux pour une charge de travail qui a augmenté. Le diplôme permettant de devenir titulaire de la fonction publique hospitalière étant difficile d’accès, et très coûteux pour les hôpitaux, cela n’a fait que dégrader la situation. Résultat, sur une équipe de 10 personnes, qui en comptait 20 il y a 15 ans, seul un tiers est diplômé. Le reste de l’équipe est constituée d’agents contractuels (CDD) n’ayant pas forcément les compétences techniques nécessaires. Mais ils coûtent moins cher à l’hôpital public. Mon hôpital s’offre même le luxe de faire signer des CDI aux personnes en CDD de longue date, ce qui est illégal dans la fonction publique. Soit elles ont le diplôme et deviennent fonctionnaires titulaires, soit elles sont en CDD mais ne peuvent être renouvelées indéfiniment. D’un autre côté, s’ils ne le font pas, le personnel ne reste pas.

Et dans tous les services, on retrouve des problématiques similaires. Ce qui explique pourquoi notre système de santé est au bord de l’implosion. Les directeurs des ressources humaines changent constamment. Je n’ai personnellement jamais rencontré celui qui était en poste et qui a décidé de ne pas agir, me mettant ainsi en danger chaque jour. Et depuis, il a eu deux successeurs qui n’ont eux non plus jamais pris la peine de me contacter malgré la lourde procédure en cours. »

Ce témoignage de Mona aidera-t-il à prendre conscience de la banalisation de la souffrance des travailleur⸱ses, de la mise en danger de leur santé pour des logiques de profit ? Le système néolibéral a des conséquences extrêmement concrètes et dramatiques sur la vie de nombre d’individus. Certains refusent pourtant de le voir et continuent de défendre une vision du monde basée sur la croissance, le profit et l’accaparation de richesses. Ils osent réaliser des économies dans le secteur public, sacrifier des vies humaines, mener la vie dure au personnel hospitalier. Que la voix de Mona soit entendue, que son témoignage nous fasse comprendre non pas la nécessité mais l’urgence de changer de paradigme économique. Le traitement de Mona n’est pas un cas isolé, il est l’illustration d’une grande partie de la société socialement vulnérable. “Le néo-libéralisme oppresse” n’est pas une phrase de gauchiste illuminé, mais bel et bien la réalité de nombreux⸱ses femmes et hommes qui souffrent dans l’indifférence la plus totale.

© B. R. & Mona (témoignage).