C’est bien connu, les politicien·ne·s mentent. Et s’iels ne mentent pas directement, iels adoptent différentes stratégies, rhétoriques ou adaptent leur programme dans l’objectif de convaincre un maximum de personnes, et donc d’être élu·e·s. Le fait même de paraître spontané·e et naturel·le est une stratégie. Dans une élection présidentielle, l’image du candidat ou de la candidate est primordiale. Dans un monde idéal, on ne s’intéresserait qu’aux idées et non aux personnes qui les incarnent. Sans doute nous pourrions adapter notre système démocratique, afin de donner moins d’importance aux élu·e·s et plus de valeurs aux idées et au pouvoir de décision du peuple. En attendant, c’est l’incarnation qui compte : qui ferait un·e bon·ne président·e ? Qui rassure le plus ? Qui donnerait la meilleure image de la France sur la scène internationale ? Or, quand le peuple est trahi à chaque quinquennat, que les présidents promettent -depuis Chirac- zéro sans-abris dans le pays, la relance de la croissance et le plein emploi, que le Parti Socialiste mène une politique de droite et que LaRem vrille dans l’autoritarisme ; les Français·es ne savent plus qui croire. Dans cet article, je m’amuse à traduire les intentions réelles des candidat·e·s. Sans prétendre à l’omniscience, on tente de révéler ce qui se cache derrière les stratégies et les belles paroles. Car ce qui compte, ce n’est pas la forme du discours, mais les projets et les ambitions politiques derrière une classe ou un courant politique.
A tour de rôle, j’imagine ce que chaque candidat·e à l’élection présidentielle pense ou incarne vraiment. Ce qui suit est donc fictionnel. Cependant, l’objectif est de retranscrire la réalité, à travers ma propre vision et analyse politique. Toute ressemblance avec la réalité n’est donc pas fortuite ! Mon analyse est orientée, peut-être erronée mais réfléchie et pragmatique.
Emmanuel Macron
« Ce qui compte le plus pour moi, c’est d’être aimé. Avant d’être élu, je ne pensais pas possible de soigner mon image tout en faisant des cadeaux aux plus riches. Regardez la popularité de François Hollande. Mais j’ai compris qu’avec l’aide des médias et une grande maîtrise de la rhétorique, la manipulation n’est pas si difficile. Je ne suis pas là pour résoudre des crises, encore moins les anticiper. D’ailleurs, je n’ai ni programme, ni vision à long terme. Ce qui compte pour moi, c’est ma réussite personnelle, c’est de rentrer dans l’Histoire, mon narcissisme n’a pas de limite. Je méprise les pauvres et mes opposants politiques. Peu importe les conséquences sociales et écologiques à long terme, je veux rayonner, je veux être la voix de la raison, je veux protéger les intérêts de la classe bourgeoise qui m’a si bien choyé, en feintant de protéger les intérêts des Français. Je remercie à ce titre l’extrême droite de me faire passer pour quelqu’un de sage. Je suis excité à l’idée de passer cinq nouvelles années à réprimer ceux qui ne demandent qu’un peu de justice et de dignité. Je ne cherche pas la démocratie (je n’aurais aucune chance), je veux paraître un homme de dialogue. Je ne cherche pas la paix dans le monde, je veux la paix pour la bourgeoisie uniquement. Je ne cherche pas la paix sociale, je veux que le peuple travaille et obéisse par la contrainte. Je ne cherche pas à sauver le monde du réchauffement climatique, je veux que le mode de vie bourgeois paraisse écolo. Je ne cherche pas à intégrer tous les étrangers et les racisés, je veux qu’ils restent pauvres et discriminés. Je ne cherche pas l’égalité femme-homme, je préfere travailler avec des violeurs dans mon gouvernement (mais t’inquiète je suis féministe). »
Marine Le Pen
« Comment rendre acceptable le racisme en démocratie ? Au fond de moi, je ressens presque de l’empathie pour les Noirs et les Arabes, mais qu’ils ne viennent pas en France, on était bien là entre Blancs. Bien sûr, il ne faut pas le dire comme ça, il me fallait trouver un discours soft pour arriver à mes fins racistes. Et puis, il y a eu la crise économique. Et là je me suis dit, c’est une opportunité en or. Je dirais aux Français : regardez ! Ils volent votre travail. Regardez, ce sont des délinquants. Je dis merci au néolibéralisme, merci de diviser la population, de laisser les étrangers vivre dans la misère pour qu’on puisse mieux les différencier et les stigmatiser, merci aussi d’appauvrir les Français blancs pour qu’on leur offre des responsables tout désignés. Merci aussi à Emmanuel Macron, je dois dire qu’il m’a agréablement surpris quand ils ont expulsé les tentes de migrants à Calais, un beau moment. Le plus difficile pour moi, c’est de défendre un programme néo-libéral en prétendant être du côté du peuple. Je m’en sors super bien quand même ! Les libéraux me facilitent la tâche, surtout ceux de “gauche”. Hollande a tellement trahi les pauvres qu’ils voient en moi la seule solution à leurs problèmes. J’ai écouté pas mal de cassettes de discours de gens de gauche. Ce qu’il me reste à faire, c’est c’est de changer la conclusion : ce qui coûte cher c’est l’immigration. Et pendant que la gauche hésitait à soutenir les Gilets Jaunes, moi j’avais juste à dire que je les comprend, sans faire l’effort de descendre dans la rue. Je suis proche du peuple, ils seront juste dégoûtés quand ils verront que je ferais exactement la même politique que Macron. »
Jean-Luc Mélenchon
« En quittant le parti socialiste, j’ai tout gagné. Je me suis désolidarisé de la tournure néo-libérale que prenait ce parti. Bien m’en a pris, c’est en restant fidèle à des idées et non à un parti politique, que j’ai gardé une base électorale solide, en ne trahissant pas leurs idées pour une quelconque alliance politique. On me reproche d’y aller seul, de prendre toute la place et de faire tout ça pour satisfaire mon égo. Peut-être, en attendant lisez mon programme : le passage à la VIème République donnera plus de pouvoir au peuple, il n’y aura plus de président, vous pourrez me révoquer si je vous déçois. J’ai eu la faiblesse de penser que je suis la personne la mieux placée aujourd’hui pour améliorer la vie des gens. Oui, j’ai de l’orgueil, et même si je justifie “La République c’est moi” comme un fait institutionnel, cette phrase très autocentrée ne sortirait pas de la bouche d’une personne modeste. Cela dit, mon coup de sang ne doit pas occulter l’injustice de la violence de la perquisition qui a été faite dans nos locaux. Si je suis encore bien placé dans les sondages malgré la mauvaise image que l’on a véhiculé de moi, cela prouve la solidité du programme l’Avenir en Commun, notre force mobilisatrice, notre capacité de proposer un monde en rupture avec le néolibéralisme et la cohérence de notre vision du monde : un vrai programme écologique et social, sur une base économique chiffrée et réfléchie depuis des années. Aussi, nous ne mentons pas sur la difficulté d’appliquer notre programme dans une Europe néolibérale, sur les efforts importants mais excitants à effectuer dans nos modes de vie pour sortir du nucléaire et des énergies fossiles, et pour bifurquer vers une société écologique, sur le prix que devront payer les plus riches pour permettre une redistribution plus juste.
Enfin, je ne cache pas mon ambition de révolutionner la société, mais j’ai choisi la voie du réformisme, sans doute trop soft et utopique pour les révolutionnaires ou les anarchistes. Je dois adapter mon programme pour être élu, je dois contester le capitalisme tout en m’y adaptant. Je ne serais jamais élu si j’annonce le renversement du système du jour au lendemain. Les révolutionnaires ont peut-être raison, ou bien pourront-ils accompagner et même surpasser le changement que nous amorcerons. »
Eric Zemmour
« Mon racisme nauséabond n’a pas encore dégoûté 10% des Français qui pourraient voter pour moi. Bien sûr, Bolloré y est pour beaucoup, mais j’ai aussi su saisir une opportunité. La famille Le Pen avait pris trop de place jusqu’ici, mais la dédiabolisation de Marine laisse libre une voie vacante : celle du racisme décomplexé dans sa plus grande radicalité. Prononcer des discours racistes est puni par la loi, c’est pourquoi nous parlons d’immigration comme une vision politique et non comme la détestation d’une communauté. Mais moi, je joue avec les limites, c’est ça qui plaît, c’est spectaculaire. Je n’ai aucun complexe à dire que la culture musulmane n’est pas la bienvenue en France. Cela dit, je me cache derrière la laïcité pour interdire le voile dans l’espace public. Je l’argumente en disant que la laïcité ne permet pas d’imposer une religion aux autres. Or le choix vestimentaire n’impose rien à personne. Mais ne réfléchissez pas trop, vous pourriez avoir trop de sympathie pour cette communauté que je veux voir loin de moi. Et mon programme politique, c’est rien d’autre que ça : chercher tous les arguments possibles et tordus dans l’Histoire et les théories du complot pour déverser ma haine. Même si je ne suis pas élu, la place que prennent mes discours dans l’espace médiatique permettront au moins de culpabiliser les musulmans de France. Tandis que les enfants musulmans pourront grandir avec ce sentiment de honte, celui d’être nés en France mais de ne pas se sentir chez eux… Je participe à semer un climat malsain dans le pays. La déshumanisation et la violence ne me dérangent pas, ce sentiment de domination sur les pauvres, les femmes, la communauté LGBT+ et les étrangers, me procure même du plaisir. »
Valérie Pécresse
« Ma candidature a du mal à exister, je suis coincée dans un espace restreint entre le macronisme et l’extrême-droite. En fait, y a-t-il vraiment une place entre les deux ? Si je suis un peu plus raciste que LaRem je suis obligée de parler de “grand remplacement”, si je veux être moins raciste que l’extrême-droite, je n’apporte rien de différent du quinquennat Macron. Personne ne sait ce que j’incarne, car tout ce que je veux incarner est une copie de ce qui existe déjà. Là, vraiment, je ne sais pas quoi faire pour retrouver une dynamique dans les sondages. »
Yannick Jadot
« Je représente le parti écologiste, donc je suis le plus (voire le seul) écologiste candidat à la présidentielle. Oui c’est un sophisme que j’aime bien utiliser. Je suis de gauche, pour une Europe forte, je veux la justice sociale, mais sans trop déranger les capitalistes. Ça ne vous rappelle rien ? Je crois que je suis le dernier à incarner la social-démocratie. Mon souhait de justice sociale pourrait être crédible si j’avais soutenu, ne serait-ce qu’une fois, le mouvement des Gilets Jaunes. Mais je les ignore et je préfère les discours qui me donnent bonne conscience. J’espère que vous avez remarqué ma dernière idée tactique : je me positionne comme le candidat le plus hostile à Poutine, cela me donne la posture d’une personne raisonnable et empathique envers les Ukrainiens. C’est facile, car tout le monde ou presque est d’accord pour qualifier Poutine de criminel de guerre. Même si je reconnais que, en tant que président, adopter cette attitude agressive est diplomatiquement dangereux. Ça me permet aussi de mépriser un peu plus les classes populaires à qui je demande de faire un effort pour se chauffer moins alors qu’ils grelottent déjà l’hiver. Me donner bonne conscience c’est vraiment mon dada, comme la fois où j’ai dit que je repassais moi-même mes chemises à la maison, c’est pas super féministe ça ? Bon, heureusement mon programme n’est pas si mauvais, et quand on voit les quinquennats de Hollande et Macron, j’ai l’air pas mal avancé sur les questions écologiques et sociales. Mais sans vraiment remettre en cause les logiques néolibérales, notamment au sein des traités européens, j’ai peur que je finisse par mener les mêmes politiques pro-bourgeoises teintées de capitalisme vert comme c’est le cas actuellement. »
Fabien Roussel
« Ma candidature va redonner du prestige au Parti Communiste, je suis un bon orateur, je parle franchement et naturellement, ça plait pas mal à mes électeurs. Mais je divise quand même un peu au sein de mes camarades. J’aime la France bleu blanc rouge, qui aime le bon vin, la bonne viande et qui défend sa police. En soi, je ne prononce pas de propos choquants, mais j’avoue vouloir surfer sur la tendance patriote utilisée par l’extrême-droite. Ça me permet de me différencier, d’incarner une gauche qui comprend les électeurs tentés par le vote Le Pen ou Zemmour. Ça me permet aussi de ne pas trop parler, voire d’ignorer, la violence policière que vivent constamment les jeunes de quartiers sensibles. Enfin, je suis écologiste, mais il ne faudrait pas dire aux Français qu’on doit réduire notre consommation de viande pour réduire nos émissions de carbone. Il y aura toujours une place électorale pour cette classe populaire qui n’aime pas trop les “bobos écolos végans islamogauchistes” ; c’était un créneau à prendre et je l’ai fait. »
Jean Lassalle
« Je suis la candidature la plus atypique, la plus déconnectée du monde moderne, technologique et urbain. Mon créneau c’est la démocratie, et même si je n’existe que très peu médiatiquement, j’ai le mérite d’exister électoralement. Mon ordinarité et mon authenticité apportent une bouffée d’air frais à cette élection. Je ne suis pas le premier à scander des discours anticapitalistes, mais mon personnage semble l’incarner spontanément. Je défend les populations oubliées, une paysannerie assommée par l’agriculture intensive, la politique par le dialogue avec les gens ordinaires. Ne me confondez pas avec les débats de façade de Macron, cette rhétorique pour faire beau et démocratique devant les caméras tout en pratiquant l’inverse. On ne me connaît pas très bien, mais si je suis en passe de recueillir quelques pourcents aux prochaines élections, c’est qu’il y a un réel désir de repenser la politique par le bas, par les vrais gens, et pas seulement de choisir un bourgeois tous les cinq ans qui trahira nos intérêts. Mais les apparences sont trompeuses, mon bilan est aussi celui d’un homme pro-chasse, machiste et anti-zadiste. »
Anne Hidalgo
« Que dire ? Les résultats parleront pour eux-mêmes, et ce n’est pas les invectives incessantes envers le “pro-russe” Mélenchon qui m’aideront à exister. Au moins j’aurais essayé. »
Nicolas Dupont-Aignan
« Je suis l’énième candidat feintant de comprendre le peuple. Je me donne presque des airs de Gilet Jaune. Je joue sur une position anti-passe sanitaire, j’ai cru y voir une opportunité mais l’Ukraine a enterré la crise sanitaire des débats. J’y suis allé un peu fort en étant convaincu de l’inefficacité du vaccin chez les jeunes, alors que la réalité est un peu plus complexe que “totalement efficace” ou “totalement inefficace”. Je me dis proche du peuple tout en étant un facho réactionnaire, un classique. »
Philippe Poutou
« Je suis le candidat au programme utopique : celui de la révolution par la mobilisation. Mais les autres ne comprennent-ils pas que l’utopie c’est le changement par les urnes ? Les promesses sociales sans sortir du capitalisme : beaucoup assument ces contresens. Et ceux qui veulent améliorer la vie des gens en réformant les institutions, on y croit pas. Le système capitaliste est trop puissant pour se laisser renverser par un gouvernement de rebelles. Le sens de notre candidature n’est pas de gagner, mais d’exister et d’encourager la mobilisation contre les institutions qui nous oppriment. C’est la seule voie pour sortir du système capitaliste, qui continuera de reproduire ses logiques de domination si nous ne le renversons pas. Les marchés financiers, c’est un retour de l’Homme à l’état de nature, c’est la loi du plus fort. Mais ce n’est pas notre nature profonde, ce n’est pas le projet de société solidaire que l’Homme social est capable de construire. L’utopie c’est de vouloir sortir des dominations machistes, colonialistes, impérialistes, bourgeoises (en opposition au prolétariat), ou encore sur la nature, tout en s’accommodant du capitalisme. »
Nathalie Arthaud
« Notre projet révolutionnaire ressemble à celui du NPA, mais s’en démarque totalement à la fois. Lutte Ouvrière fonctionne par la discipline, c’est efficace pour obtenir les 500 signatures, un peu moins pour générer un mouvement de masse. On est pas hyper inclusif, si tu as des habitudes un peu bourgeoises tu ne seras pas forcément intégré à notre groupe. On a aussi du mal à évoluer sur certaines questions sociales : on est convaincu notamment de notre athéisme. Le problème, c’est d’en faire une politique, car nous excluons de fait les minorités religieuses discriminées. Cela nous écarte donc de la communauté musulmane qui subit des discriminations inouïes dans notre société contemporaine, et qui aurait besoin en conséquence d’un appui politique. »
Bonus : Anasse Kazib
« On a pas obtenu les 500 signatures, mais eh oh ! On existe. Aucune place médiatique ne nous a été accordée, l’extrême-droite nous a même menacé et détourné de participer à une conférence à la Sorbonne. Un ouvrier révolutionnaire racisé, bien sûr que ça dérange, on en veut pas dans l’espace politique. Ça pourrait déranger trop de privilèges de la bourgeoisie blanche. Ça pourrait résonner dans l’esprit de trop de personnes opprimées dans ce pays. Non, il vaut mieux que ces gens-là restent sages, muets et non représentés. La “démocratie” pense qu’il est préférable que la classe masculine bourgeoise blanche décide pour le peuple. Et si une femme ou un·e racisé·e émerge, il vaut mieux qu’iel soit du coté de la bourgeoisie, sa présence est même souvent instrumentalisée pour faire taire les luttes antiracistes et féministes radicales. »
Rappel : ce ne sont pas des citations de candidat·e·s, mais des propos imaginés. Cela relève donc de la fiction, malgré une recherche de réalisme maximal sur les positions et les intentions des candidat·e·s. Les interprétations, les analyses et les opinions qui transparaissent n’engagent que moi.
© B. R.
[…] Le clivage gauche-droite a d’incorrect qu’il place les extrêmes sur une échelle de valeurs incomparables. Il est entendu que l’extrême gauche s’inscrit dans une rupture avec un système néolibéral, alors que l’extrême droite se situe dans un extrême conservatisme. Cela n’empêche pas Roussel ou Montebourg de flirter avec les idées patriotes, Le Pen avec le socialisme (démagogiquem…. […]