Photo : Fabien Cottereau

Dimanche 30 janvier au soir, est annoncée la victoire de Christiane Taubira au vote d’investiture de la Primaire Populaire. Quelle légitimité donner à ce résultat et au processus du mouvement de manière générale ? Par un souci trop important d’union de la gauche, les militants de ce processus inédit, en semant la graine de l’union, récoltent les fruits de la confusion.

« Pire que la dispersion : la confusion »

Soyons clair, Christiane Taubira n’est pas légitime à représenter une candidature unique de la gauche. La raison est simple, trois candidats présentés au vote n’ont pas souhaité s’y soumettre. Bien sûr, l’annonce de participation au vote d’investiture de la Primaire Populaire a joué en faveur de l’ancienne ministre de la justice. Pourquoi donc ce scrutin a-t-il eu lieu ? Trois types de primaire étaient pourtant envisageables : 

  • Soit tous les candidats sélectionnés y participent (comme initialement prévu) car ils sont d’accord sur une candidature unique et un socle commun.
  • Soit on procède effectivement à une investiture avec les personnes déjà en campagne présidentielle afin de ne pas rajouter une candidature supplémentaire (bien que cette solution pose déjà un soucis de cohérence sur la nature du projet politique).
  • Soit on procède à une primaire citoyenne où madame Taubira n’aurait pas été invitée.

Le mélange des genres finalement proposé est problématique. Cela en devient même triste en constatant toute l’énergie déployée pour un projet contre-productif.

Taubira n’est pas Boric 

L’une des pratiques à répétition de Pierre Larrouturou (candidat lui aussi) consiste -à l’instar du mouvement- à marteler comme une vérité absolue la nécessité de l’union de la gauche (allant même jusqu’à participer à une grève de la faim, ce qui illustre l’irrationnelle obstination du mouvement). Il prend alors en exemple le cas du Chili, où Gabriel Boric a été élu grâce au soutien des autres forces de gauche. L’argument est invalide puisque l’union s’est faite au second tour : 4 autres candidats de gauche étaient présents au premier tour… Bien que la stratégie d’une candidature unique se défende, le principe de forcer l’idée dans l’esprit des gens que l’union des gauches serait le seul espoir de victoire, pose problème. David Guiraud, journaliste pour Le Média et porte-parole de la France Insoumise se défend : « Il y a pire que la dispersion : la confusion. »

Une candidature sans projet politique de rupture

On pourrait pousser le bouchon un peu plus loin et se demander si Christiane Taubira est une candidate de gauche. D’abord, elle déclare tardivement sa candidature, sans programme, sans préparation en amont ; puis refuse le débat avec les 3 autres candidats volontaires : Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise et Anna Agueb-Porterie (cette dernière s’en indigne sur le plateau de France Info). Taubira se considère donc légitime sous le seul prétexte de sauver la gauche, tout en se déclarant “du côté du peuple”. Une déclaration osée pour une femme politique restée muette devant tous les mouvements sociaux de ces dernières années. Quelle légitimité a-t-elle auprès des Gilets Jaunes et de toutes les professions ayant manifesté leur ras-de-bol sous le quinquennat Macron ?

La stratégie de l’entre-soi

Le rapport de force et la campagne de la Primaire Populaire se sont focalisés sur le thème abstrait de l’union des gauches, des actions de sit-in devant les QG des partis politiques refusant de se soumettre au vote, et l’objectif assumé de les empêcher d’atteindre les 500 parrainages nécessaires pour se présenter aux prochaines élections présidentielles. Autant de dons d’argent et d’énergie ont donc été investis dans un projet flou, derrière une gauche qui n’a plus de réelle signification en France : c’est un fait sociologique, la politique de François Hollande et ses produits néolibéraux que sont la loi El Khomri, la politique de droite de Manuel Valls et bien sûr la propulsion d’Emmanuel Macron aux portes du pouvoir ; ne permettent plus de considérer le Parti Socialiste comme une force résolument de gauche, anti-capitaliste et proche du peuple

Les militants de la Primaire Populaire ambitionnent pourtant de ramener un maximum d’abstentionnistes sur la voie des bureaux de vote. La stratégie du mouvement sur les derniers mois ne peut que produire l’effet inverse : comment convaincre les dégoûtés de la politique de voter pour une candidate au programme improvisé, alors que celle-ci est investie par un mouvement dont le leitmotiv principal est l’union de partis politiques qui ont gouverné et déçu. La campagne de la Primaire Populaire a manqué jusqu’à aujourd’hui l’essentiel de son projet populaire qui aurait dû être celui de répondre aux souffrances et préoccupations quotidiennes des plus défavorisés. Si le mouvement dit mener ce combat pour eux, cette stratégie ne parle pas aux abstentionnistes des classes populaires et risque de se révéler inefficace. 

Si la Primaire Populaire est un échec, nous pourrions aborder aujourd’hui un sujet plus concret ou profond, mais le fait qu’un vote réunisse près de 400 000 votants reste à prendre au sérieux. On aurait tort d’ignorer les raisons de cette mobilisation. Cela dit, l’invitation de ce billet est de détourner l’attention du faux débat de l’union de la gauche vers les sujets concrets que l’on aimerait aborder dans les débats politiques. Ne soyons pas dupes, les votants à la Primaire Populaire font partie des classes moyennes ou aisées, favoriser l’entre-soi est une erreur stratégique, le vrai problème est la difficulté des partis de gauche à convaincre l’électorat des classes populaires, au moment même où la gauche n’a jamais été aussi faible. La stratégie de favoriser un entre-soi, c’est-à-dire environ 25% des non abstentionnistes, plutôt que de mobiliser son attention sur le reste des citoyens, est regrettable. Déclarer vouloir la justice sociale n’est pas suffisant, malgré ses bonnes intentions, le combat de la Primaire Populaire s’est trompé de direction. 

Le mouvement se définit pourtant comme pragmatique en déclarant que seule une candidature unique amènera la justice climatique et sociale à la victoire. C’est en réalité un manque de réalisme et de lucidité sur la situation politique française qui a amené les militants à croire en l’union des gauches irréconciliables. Un socle commun de justice climatique et sociale, ça sonne joli. “Mon ennemi c’est la finance” aussi. Les différences entre la gauche radicale et la social-démocratie ne sont pas mineures. Les discours sont un leurre, François Hollande son pourvoyeur, la confusion mise à l’honneur.

Même la démocratie en sort perdante

Les idées de la Primaire Populaire ne sont pourtant pas à rejeter, parmi elles : ses ambitions élevées de démocratie. Dans son socle commun d’abord, en intégrant par exemple : la “reconaissance du vote blanc”, moins de pouvoir pour le président et plus “d’intervention populaire”. Dans son fonctionnement même, la Primaire Populaire innove avec des outils intéressants tels que le vote au jugement majoritaire permettant aux électeurs d’évaluer chaque candidat. Dans notre mode de scrutin actuel, voter pour un seul candidat sous-entend que tous ceux pour lesquels on ne vote pas ont la même valeur. Des critiques ont été émises sur le fait que le jugement majoritaire favoriserait le candidat le moins clivant, mais le fait de prendre en considération la médiane et non la moyenne dans le résultat final ne décrédibilise pas un candidat ayant reçu un nombre élevé de mentions très positives et très négatives (tant que le nombre de mentions positives reste supérieur). Attaquer la Primaire Populaire sur ce système de vote est hâtif, si les résultats de sondages intégrant ce mode de scrutin continuent de favoriser les candidats centristes, alors le problème est ailleurs. 

Un autre point positif de la Primaire Populaire est l’apparition de candidats citoyens. En effet, 500 parrainages est un objectif atteignable pour toute personne investie, ce qui a permis aux candidates Charlotte Marchandise et Anna Agueb-Porterie de se présenter. Sur le fond, les principes du mouvement sont bons, c’est sur la forme qu’il a failli. La Primaire Populaire est en réalité bien différente de LaPrimaire.org qui avait déjà permis l’élection de Charlotte Marchandise comme candidate citoyenne à la présidentielle de 2017. Chaque candidat était volontaire et un certain esprit d’équité de visibilité régnait. A l’opposé, la Primaire Populaire a non seulement intégré au vote des candidats ne souhaitant pas s’y soumettre, mais leur a aussi donné une visibilité beaucoup plus grande en menant des campagnes incessantes pour les forcer à accepter une candidature unique. Toute cette attention a finalement invisibilisé les petits candidats : C. Marchandise et A. Agueb-Porterie ont terminé respectivement avant-dernière et dernière du vote d’investiture. Combien d’électeurs connaissaient les programmes des deux candidates ? Une infime partie.

La Primaire Populaire n’a finalement que très peu communiqué sur les idées de fond des candidats, l’énergie étant portée sur les candidats ayant refusé l’union. Pour un mouvement qui insiste sur la nécessité d’un renouveau démocratique, est-ce bien sérieux de reléguer les débats d’idées au second plan ? Le principe d’une primaire est de départager des programmes, et non d’élire celui ou celle qui incarne le mieux la gauche (avec toute la confusion que cela suppose) pour sa carrure et sa personnalité, c’est-à-dire sur la forme (rappelons que C. Taubira -ni aucun autre membre du trio de tête- n’a débattu avec les autres candidats). 

Si ce billet est à charge contre le bilan de la Primaire Populaire, n’oublions pas les bonnes intentions de départ en termes de rassemblement, d’avancées démocratique, de prise en compte des revendications des mouvements sociaux dans le socle commun. Cela dit, s’obstiner dans une union de la gauche en incluant une social-démocratie, la même responsable de la semi-disparition des électeurs de gauche, est problématique. De plus, investir une nouvelle candidature 3 mois avant les élections sur la base d’un socle commun et non d’un programme clair (qui aurait besoin de temps pour germer dans l’esprit des gens), n’est pas une stratégie de victoire. Le message ici n’est pas culpabilisateur, il est compréhensible d’avoir soutenu la Primaire Populaire, d’avoir cru en une union de la gauche et d’avoir été convaincu par sa nécessité. Les organisateurs sont même quelque part des victimes de l’état actuel de la gauche. Le message ici est plutôt un appel à la lucidité, si nous faisons le choix du pragmatisme, il faut accepter que le résultat du processus de la Primaire Populaire (et non l’entièreté de ses intentions) est une erreur stratégique. 

© B. R.