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“Bloquons tout”, ou plutôt “Blocchiamo tutto”, cela fonctionne aussi en Italie ! C’est une véritable marée humaine qui s’est déversée dans tout le pays ce lundi 22 septembre lors d’une grève générale en soutien au peuple palestinien. L’Italie, gouvernée par l’extrême droite, est encore loin de reconnaître l’État de Palestine ; et, comme nombre de ses voisins européens, continue de transporter des armes vers Israël.
Non seulement la mobilisation est massive (1 million de personnes dans la rue selon certaines estimations, avec une jeunesse omniprésente) dans plus de 80 villes italiennes, mais surtout les modes d’action révèlent une volonté d’agir efficacement avec de nombreux blocages réalisés dans tout le pays. Le peuple italien a saisi l’occasion de montrer un tout autre visage que celui véhiculé jusqu’ici par ses institutions.
Pourquoi une telle mobilisation ?
Deux ans après l’intensification du génocide à Gaza, le peuple italien a sans aucun doute vécu sa plus grande action de résistance depuis l’intifada étudiante de 2024. Comment expliquer un tel succès, une telle détermination et démonstration de force ?
Forcément, l’indignation citoyenne augmente à mesure que le projet de nettoyage ethnique à Gaza prend forme. La situation est urgente et dramatique depuis près de 24 mois maintenant, pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour voir enfin un pays européen réaliser des actions de blocage ? Il y a d’abord l’effet cocotte-minute : à force de voir quotidiennement ces images et ces informations d’horreur sur nos smartphones, la colère intériorisée monte jusqu’à exploser sous la pression.

Ensuite, les manifestations de ces deux dernières années ont nettement participé à construire cette spirale militante positive ; à créer du lien entre citoyens autour d’une indignation commune ; à donner le sentiment à des personnes qui n’étaient jamais descendues dans la rue auparavant qu’elles avaient le pouvoir d’influer sur la situation à leur échelle.
Dans un article précédent, nous évoquions le combat militant des étudiants de Padoue en Italie. Très vite après le 7 octobre 2023, des assemblées générales ont été organisées en soutien à la Palestine et ses victimes. L’université a souvent été le lieu d’occupation pour ces activistes, afin de s’approprier l’espace public, de politiser, d’informer et d’engager la population.
Si l’image de la cocotte-minute évoque l’idée de mobilisations spontanées, elles sont en réalité le résultat d’un travail important d’organisation et de sensibilisation dans la rue, mais aussi de créations de liens sociaux entre groupes d’activistes. Ce sont ces ingrédients qui alimentent la pression sous le couvercle et qui permettent à la colère finalement de s’exprimer et d’exploser.
Enfin, les Flottilles pour la liberté ont sans aucun doute été des vecteurs importants de la mobilisation actuelle. Bien que ces embarcations tentent de subvenir aux besoins de Gaza depuis de longues années, la présence de personnes importantes et influentes comme Rima Hassan ou Greta Thunberg à bord du Madleen puis du Handala a donné un réel poids médiatique à l’initiative. Les mobilisations actuelles font écho à l’initiative internationale en cours “Global Sumud Flotilla”, où les navires sont cette fois-ci nombreux (51) à tenter de briser le blocus alimentaire à Gaza. La répression, elle, s’intensifie : des drones ont récemment attaqué les navires sans défense. Ces initiatives sont des exemples de désobéissance civile et incitent les citoyens à imiter le courage de ces “activistes marins”.
Situation vénitienne

Nous avons suivi le cortège vénitien qui est parvenu à bloquer le port de Marghera (Venise), et ce pendant plusieurs heures, avant que la police ne repousse les manifestants à coup de puissants jets d’eau. Des activistes sont également parvenus à bloquer la route où une file interminable de camions d’approvisionnement de marchandises était empêchée d’accéder au port. Les manifestants étaient contenus par quelques gigantesques camions de police leur faisant face, mais aussi par un hélicoptère surveillant la situation en hauteur. Quelques drones se sont également immiscés périodiquement au-dessus de la foule.
Cette action de blocage, réalisée dans plusieurs ports italiens, fait suite à l’appel des dockers de Gênes, afin d’agir directement contre la livraison d’armes transitant par la Méditerranée, depuis l’Italie donc en direction d’Israël.
“Free Palestine, Bloquons les armes”, pouvait-on lire en tête du cortège, sur fond de chants explicites : “Siamo tutti anti sionisti” ou encore la reprise des slogans français “tout le monde déteste la police”, “tout le monde déteste Israël”.

Le collectif antiraciste et antifasciste padouan “Open Your Borders” présent à Marghera tenait à souligner que le génocide palestinien est le résultat d’un système qui “normalise la discrimination et le nettoyage ethnique”. Selon les membres du mouvement, chaque attaque et chaque meurtre à Gaza sont le fruit d’une même logique “impérialiste et d’exclusion qui alimente le racisme partout dans le monde”.
Ceux-ci dénoncent en premier lieu l’Union Européenne qui garde inchangées ses relations avec Israël. Ils accusent en plus l’UE de “tuer des personnes réfugiées ou en mouvement avec la brutalité de ses frontières et de ses lois”. On pense forcément aux nombreux morts en mer Méditerranée, entre la Libye et l’Italie notamment, et non secourus (ni dans les lois ni dans les actes) par les pays européens.
Bilan du 22 septembre
La grève générale en soutien au peuple palestinien et aux Flottilles pour la liberté ont été portées par divers syndicats faisant partie des “organisations syndicales conflictuelles et indépendantes, protagonistes de luttes et de grands conflits sociaux”, dont USB. Divers secteurs s’en sont trouvés impactés, dont les transports et l’enseignement.
Si des manifestations ont afflué dans de nombreuses villes, la journée a surtout été marquée par cette volonté d’imposer un rapport de force avec plusieurs actions directes. Parmi elles, notons le blocage des stations de train à Milan et à Naples. Dans la capitale romaine, la station de train a également été bloquée, tout comme le périphérique routier. L’autoroute entre Florence et Bologne a été rendue inaccessible par les manifestants. À Turin, des voies de train ont été occupées, tout comme “il corso Regina Margherita”, l’une des principales routes de la ville piémontaise. Enfin, des actions de blocage de ports maritimes ont été réalisées à Gênes, Livourne, Palerme, Salerne et Marghera.
Génération Palestine
Une grève générale est à nouveau programmée ce vendredi 3 octobre, appuyée par le syndicat le plus important d’Italie : la CGIL, qui était pourtant absente au rendez-vous du 22 septembre. Cela fait suite à l’arrestation illégale en eaux internationales des navires de la Global Sumud Flotilla par Israël, ce mercredi 1er octobre. Des rassemblements spontanés ont eu lieu dans tout le pays le soir même et plusieurs sièges universitaires ont été occupés.
La colère monte également contre le gouvernement italien, qui a d’abord décidé d’apporter son aide aux navires de la flottille en envoyant une frégate de la marine italienne Alpino. Mais celle-ci s’est finalement retirée, à 240km de la côte gazaouie, afin de laisser le champ libre au Tsahal, et en évitant de perturber les relations diplomatiques entre les deux pays.
Comme dans de nombreux mouvements sociaux à travers le monde, c’est principalement la jeunesse qui se mobilise dans la rue, celle que l’on appelle la génération Z. Cependant, Viola Carofalo, philosophe et porte-parole du parti Potere al Popolo, évoque plutôt un soulèvement de la “génération palestinienne”. Elle refuse en effet de réduire ces mouvements de colère à une question générationnelle, alors qu’il s’agit davantage d’un niveau d’inégalités, d’injustices sociales et de polarisation entre riches et pauvres, jamais vu auparavant. Un phénomène qu’elle qualifie de “global et intergénérationnel”.
Cela dit, pourquoi Carofalo fait-elle le lien entre la Palestine et les mouvements sociaux qui ont éclaté en Malaisie, au Népal, à Madagascar, au Kenya, au Pérou ou encore au Maroc ? D’abord, elle considère que la lutte pro-palestinienne n’est pas seulement une réaction à la violence israélienne, mais est aussi et surtout le résultat de décennies de résistance du peuple palestinien et de ses organisations, qui sont parvenus à politiser et à transformer leur combat en une cause commune.

Ensuite, elle évoque la dimension internationale des mobilisations de ces deux dernières années, avec une contestation qui se durcit ces derniers jours et l’expression d’une grande détermination. En effet, les activistes de la Global Sumud Flotilla viennent littéralement des 4 coins du monde, et les mobilisations spontanées suite à l’arrestation des navires ce 1ᵉʳ octobre ont fait irruption dans de nombreux pays.
La philosophe ajoute que dans toutes les mobilisations du monde, y compris au sein des protestations pour des questions à priori locales, on agite des drapeaux palestiniens, rappelant que ce symbole n’est jamais “trop petit, trop isolé ou trop démuni pour revendiquer son droit à une existence digne”.
Viola Carofalo conclut : “La génération Palestine aura acquis ces dernières années des instruments et des aptitudes d’organisation qui seront fondamentales dans les années à venir. Un patrimoine de connaissances qu’il sera difficile d’éliminer.”
En somme, cette première journée de grève générale du 22 septembre, qui en appelle d’autres, est un évènement exceptionnel pour l’Italie, qui démontre le ras-le-bol général de la population et de la jeunesse, aussi bien du point de vue de sa mobilisation massive que de la montée en radicalité des actions menées, et la volonté de mener un rapport de force puissant contre un système occidental, et particulièrement l’Union Européenne, qui continue de protéger les crimes d’Israël à Gaza.
Benjamin Remtoula