
Le cinéma n’est pas qu’un miroir de la société, il nous influence jusqu’à guider nos actions et nos comportements. Une série aussi suivie que Squid Game a forcément un impact sur nos vies : doit-on nous réjouir alors qu’une critique assumée du capitalisme rencontre un tel succès ? Tout n’est pas si simple.
Si la série coréenne voit juste dans sa caricature des injustices sociales et de la cruauté des individus détenant le pouvoir économique ; elle donne cependant à réfléchir sur d’autres aspects.
Pessimisme
Hwang Dong-Hyeok a-t-il perdu foi en l’humanité ? Le créateur de Squid Game et donc de cette allégorie du capitalisme, ne donne pas tellement de signes d’espoir quant à la possibilité de renverser ce système. Des tentatives ont certes lieu, mais desquelles nous ressortons impuissants : le système est trop fort, trop bien huilé, armé et préparé.

Est-ce si différent du monde réel ? Effectivement, des révoltes ont eu lieu, on garde en mémoire le mouvement des Gilets Jaunes en se disant qu’une révolution était possible. Mais les dominants n’en ont subi aucune conséquence et les répressions n’ont fait que se durcir depuis.
Est-ce suffisant pour perdre espoir ? On peut comprendre le sentiment de Dong-Hyeok, chaque militant.e est passé par la résignation, la sensation de se battre dans le vide. Mais cela ne doit pas occulter les victoires, l’effet de vague mobilisatrice et les résistances aux projets injustes et destructeurs.
La lutte est efficace, et ce malgré la montée des régimes fascistes et autoritaristes à travers le monde. Celle-ci ressemble plutôt à un symptôme, extrêmement négatif, d’un système à bout de souffle.
Allégorie de la violence capitaliste ?
En réalité, un artiste n’a pas forcément le devoir de donner espoir aux spectateurs. Si Squid Game était romantisé, avec un, une ou des héros capables de renverser le système ; la fiction donnerait-elle confiance aux activistes sous la forme d’une prophétie autoréalisatrice, ou au contraire nous plongerait-elle dans la passivité en se disant qu’un individu providentiel sauvera héroïquement le monde ?
Hwang Dong-Hyeok ne pouvait pas risquer de tomber dans le piège de la seconde option. En ne mettant en scène qu’une poignée de héros ayant connaissance des rouages d’une institution criminelle et la volonté de le renverser ; le réalisateur ne pouvait pas envisager une révolution menée par des individus aussi isolés (au sens de l’échange, la construction et la conscientisation politique de classes).

Squid Game dépeint donc, de manière caricaturale et simplifiée, la violence du capitalisme. A la manière de Black Mirror et des nombreuses dystopies à succès, elle rend visible et concrète cette violence. Et nous en avons besoin. Le sang, la violence, ce n’est pas que du spectacle gratuit, c’est une manière de matérialiser les actes criminels des dominants. Ceux-ci sont bien plus subtils et indirects dans le monde réel, dissimulés derrière des discours appelant au “réalisme” ou à la “responsabilité”, et nécessitent une compréhension politique bien plus profonde.
Confusion sur la nature humaine
Le danger de l’analyse de Squid Game, c’est notre lecture de la nature humaine. Dans ce contexte de survie (au sens physique mais aussi social et économique par endettement), la cruauté, l’individualisme et l’esprit de compétition sont à leur paroxysme.
On comprend bien que le jeu et la misère économique et sociale, révèlent, forcent même ce qu’il y a de plus violent dans les comportements humains. De rares joueurs cela dit vont à l’encontre de cette attendue cruauté, en adoptant des comportements de l’ordre du sacrifice pour sauver la vie d’autrui. Mais globalement, la série invite au pessimisme sur la nature humaine.
Et c’est une tendance du divertissement : au cinéma, dans les jeux de télé-réalité et plus globalement dans le système scolaire et celui du travail ; les producteurs, les patrons, les décideurs politiques, s’amusent à mettre en compétition les individus pour qu’une infime partie décroche le pactole. Tout ceci dans le but de maintenir l’illusion de la méritocratie et de l’individu pauvre capable de grimper dans l’échelle sociale.

Pour les créateurs, la mise en scène d’individus qui s’entretuent pour leur survie est certes efficace voire pertinente d’un point de vue de la critique sociale, mais elle ne bouleverse pas nos à priori négatifs sur la nature humaine. Le vrai courage artistique pourrait être désormais celui de la mise en scène utopiste d’une société désirable, sans perdre en divertissement.
Alternatives à la dystopie
Prenons en exemple une émission en apparence tout à fait anodine : Koh-Lanta. Cette télé-réalité semble mettre en avant des valeurs positives : la sportivité, le dépassement de soi, la connexion avec la nature. Le potentiel est même intéressant, mais, au delà du fait que la production sélectionne en priorité les moments de “clashs” et de tensions, le principe même de procéder à des éliminations est forcément malsain.
Or l’être humain n’est ni bon ni mauvais, sa “nature” dépend en grande partie du système et de ses règles du jeu. La violence des plus vulnérables correspond à des logiques de survie, d’exclusion ou bien de détresse économique et psychologique, toutes induites par une violence première institutionnelle.
Isoler des individus sur une île déserte afin de les confronter à un mode de vie naturel et minimaliste, c’est un concept en soi très intéressant dans une société matérialiste et déconnectée de la nature. Or des candidats de l’émission de TF1 avouent craindre la vie en communauté plus que la faim, la résistance physique ou leur manque de connaissance de la nature. C’est un comble pour l’être humain qui a historiquement dû s’associer pour faire face à l’hostilité de la nature et combler ses désavantages physiques.

Une émission alternative mettrait en scène des candidats qui ont pour but de s’associer pour survivre ensemble, et cela n’enlève rien à leurs statuts d’aventuriers, bien au contraire : les activités se concentreraient sur les besoins essentiels de l’être humain (alimentation, confort mais aussi relations sociales) plutôt que sur des jeux d’alliances et donc de trahisons.
Pour ce qui est du grand écran ou des séries télés, les dystopies sont moins problématiques car elles sont fictives et permettent de dénoncer les problèmes de notre société actuelle. Cela dit, nous manquons cruellement d’histoires utopistes en comparaison. La voie dystopique est la plus facile pour générer du divertissement. Ce qui nous amène à penser que le vrai courage artistique serait désormais celui de générer du divertissement par la proposition d’un monde solidaire et désirable ; où les règles dominantes du capitalisme néolibéral seraient abolies.
Dystopie et utopie sont en réalité complémentaires dans un processus révolutionnaire. Le premier critique, dénonce, politise. Le second construit, dynamise, inspire. Pour une lecture complémentaire, nous vous recommandons l’article “Squid Game : allégorie ratée, capitalisme intact” de Frustration Magazine.
Benjamin Remtoula.
Photo de couverture : Nathan Rupert (Flickr).