Suite à un premier volet sur les élections turques, évoquant la réélection d’Erdogan, mais aussi sa fragilisation et la montée en puissance de l’opposition, nous nous sommes entretenus avec Günsel Deniz, experte politique et militante écoféministe kurde, touchée par les séismes du 6 février dernier en Turquie. Elle revient pour nous sur la période sombre que traverse le pays.  

Günsel Deniz, kurde, originaire de Gaziantep en Turquie, est chercheuse en sciences politiques à l’Université de Padova (Italie). Elle est aussi membre du parti de la gauche verte turque YSP et militante écoféministe. Plus récemment, elle a été l’une des victimes indirectes des tremblements de terre qui ont touché la Turquie et la Syrie ce début d’année. 

Au cours de cet entretien, l’experte politique est ainsi revenue sur le sujet brûlant des présidentielles turques, comme sur l’agenda politique à venir malgré la « gueule de bois » liée à la réélection de l’autocrate Erdogan, sans oublier d’évoquer l’autoritarisme et l’oppression vécues par le peuple kurde. Günsel a aussi courageusement accepté de nous parler de l’épisode dramatique des tremblements de terre qui ont lourdement touché sa province d’origine et sa famille  : un témoignage encore empli d’émotions, avec une valeur cependant profondément politique, dès lors que que la non-assistance humanitaire du gouvernement à ce sujet est probablement responsable de la mort de nombre de ses ressortissants.

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Mr Mondialisation : Pour finir, j’aimerais vous interroger sur les conséquences de l’inaction politique d’Erdogan lors des tremblements de terre du 6 février. Vous venez de la province de Gaziantep dans le sud de la Turquie, à la frontière avec la Syrie. Vous étiez en Italie lors des évènements, mais votre ville a été fortement touchée par ce séisme, avec de graves conséquences pour plusieurs membres de votre famille. Vous vous êtes rendue sur place pour venir les secourir, avec vos propres moyens et sans assistance politique, en vain. Sentez-vous libre d’exprimer votre retour d’expérience sur ce moment difficile et sur l’attitude d’Erdogan dans la gestion de cette crise humanitaire (on décompte au moins 30 000 morts rien qu’en Turquie). 

Günsel Deniz : Erdogan et son gouvernement n’ont certainement pas pu gérer la crise humanitaire déclenchée par le tremblement de terre. Il a fini par l’admettre dans un discours prononcé à Adıyaman (Adiyaman est l’une des villes conservatrices touchées par les tremblements de terre).

En tant que personne dont la famille a été touchée par le séisme, je sais ce qu’il en est de ma propre expérience dans le champ de ruines. Pendant 10 jours, nous n’avons reçu aucune aide de la municipalité métropolitaine gagnée par l’AKP, ni de l’État lui-même, alors que nous attendions que nos proches soient sortis des décombres. Bien que notre immeuble détruit soit situé à proximité de la maison du maire de la ville, nous n’avons même pas reçu de visite. Nous avons allumé un feu dans la rue avec nos propres moyens pendant 10 jours et avons continué à attendre malgré les températures de -4 ou -5 degrés celsius. Nous n’avons reçu aucune aide, pas même une simple tente pour dormir ni d’aide alimentaire. Nous avons dormi dans des voitures et avons été fournis en eau et nourriture apportées par nos amis et notre famille, dans la rue pendant dix jours.

Mon oncle, mon cousin et ma tante sont restés sous les décombres pendant 10 jours et les équipes de recherche et de sauvetage n’avaient même pas les outils appropriés à leur disposition. Ils n’avaient ni appareils de contrôle audio, ni caméras de mesure de la température thermique, ils n’avaient rien, et au bout de dix jours, nous avons pris les cadavres de nos proches. Mon oncle et mon cousin n’avaient même pas une égratignure sur le visage, leur peau était blanche, ce qui signifie qu’ils ont trouvé un espace vital et se sont accrochés à la vie jusqu’à la dernière minute. Mais l’insuffisance des équipes de recherche et de sauvetage, le manque d’outils appropriés, les ont conduits à la mort.

Voici donc mon histoire et celle de ma famille à Gaziantep, une ville de 4 millions d’habitants, lorsque 25 bâtiments ont été détruits dans le centre-ville. Pensez aux villes et aux villages complètement détruits, à l’aide qui n’est pas arrivée et à l’impuissance de la population.

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