
Le Madleen ou “Flotille pour la liberté”, ce navire qui se dirigeait vers Gaza pour tenter de contrer le criminel blocus humanitaire en Palestine, a finalement été intercepté par l’armée israélienne en eaux internationales. Les membres du bateau, dont Rima Hassan et Greta Thunberg, ont été kidnappés et détenus illégalement à Ashdod en Israël. Cette action de désobéissance civile (légale mais défiant l’autoritarisme israélien) n’a pas atteint son objectif de secours humanitaire, mais s’est révélée terriblement efficace d’un point de vue symbolique et de mobilisation des masses.
Rima Hassan est une femme politique, militante et juriste française. D’origine palestinienne, elle est née en Syrie dans un camp de réfugiés palestiniens. Elle a donc, avec sa famille, subi directement les conséquences de l’exil forcé de ses grands-parents, la Nakba, lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948. Quelques jours avant son embarcation, nous avons assisté à une conférence de l’eurodéputé insoumise à l’Université de Padoue en Italie. Son discours et son combat inspirent tant par sa détermination que par son humanité.
L’Université, fief de la résistance
Ce n’est pas un hasard si Rima Hassan se rend dans les universités, qui représentent selon elle le “fief de la résistance en solidarité à la cause palestinienne” : partout dans le monde, le mouvement étudiant a précédé la pensée politique, et de tout temps d’ailleurs ; en nous rappelant l’importance du rôle étudiant dans la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud ou contre la guerre au Vietnam. Les étudiants montrent la voie selon elle, vers un autre modèle de société : fait de solidarité, de justice et de respect des droits humains.
Les étudiants affichent une cohérence politique que n’ont aujourd’hui pas nos dirigeants, à savoir nos gouvernants mais aussi les responsables d’écoles. De plus, la lutte pour la cause palestinienne arbore une dimension aussi large que radicale, révolutionnaire et internationale.

Un désaccord politique profond, qui mène comme trop souvent à la répression : Rima Hassan nous rappelle que des CRS ont fait irruption dans les locaux de Sciences Po Paris et mis en garde à vue des dizaines d’étudiants. C’est dire toute la contradiction de ces pays qui s’autoproclament “Démocraties” et s’octroient le droit de donner des leçons en matière de droits humains, tout en réprimant des citoyens qui dénoncent un génocide.
Mais Rima Hassan nous prévient de l’importance du rapport de force, et du fait que l’ascendant des dominants n’est pas quelque chose de figé.
Le suicide israélien

Les experts nomment de plus en plus le terme de “suicide d’Israël”, et pas seulement depuis le 7 octobre. Yeshayahu Leibowitz, médecin et penseur juif et israélien, avertissait déjà en 1979 :
Nous continuons à dominer un million et demi d’Arabes, et j’y vois la destruction de l’État d’Israël et l’anéantissement du peuple juif. Ces territoires que nous continuons d’occuper constituent un cancer qui nous ronge et qui détruit tout ce qui est sain en nous !
Yeshayahu Leibowitz
Celui-ci ne voyait d’ailleurs que deux alternatives possibles : une guerre contre le monde arabe ou bien un vrai partage du pays entre les deux peuples qui y vivent : “Un État juif et à ses côtés, un État palestinien.” Et cette solution à deux Etats n’est cependant plus possible selon Rima Hassan, nous y reviendrons.
En somme, la direction que prend Israël questionne énormément pour sa propre pérennité. Rien que le Hamas a doublé ses effectifs depuis le 7 octobre : l’objectif de l’éliminer étant un leurre pour justifier son nettoyage ethnique. De même, la libération d’otages israéliens ne s’est faite que dans une faible proportion.
L’eurodéputé insoumise affirme que l’Etat d’Israël ne survit aujourd’hui que s’il est en état de guerre permanent. Et justifie cela en donnant l’illusion qu’il est constamment menacé dans la région par les peuples arabes (renvoyés au statut de sauvages) qui l’entourent. R. Hassan a même entendu du côté de certains Israéliens : “si on a plus les Palestiniens, on finira par se faire la guerre entre nous”. Elle ajoute que la société israélienne est extrêmement fragmentée et qu’on en parle très peu en Occident (d’un point de vue ethnique ou de classes sociales notamment).
La panique morale de l’Occident
Un Occident qui se retrouve dans une position délicate, et même en “panique morale et politique” selon Rima Hassan, au vu de son soutien inconditionnel à un État génocidaire tout en proclamant des discours de paix et de démocratie. Israël est à la fois son miroir, mais aussi à l’avant-poste de la civilisation occidentale contre une barbarie fantasmée.
Nos Etats ont un intérêt économique certain à l’état de guerre permanent, notamment par les ventes massives d’armes. La France continue de livrer des armes dans la plus grande discrétion selon le média d’investigation Disclose, alors que les Etats-Unis ont approuvé en août 2024 “la vente d’armement à leur allié israélien pour plus de 20 milliards de dollars”.
Mais le marché de guerre ou plutôt le marché du génocide, n’est qu’un élément parmi des intérêts bien plus larges, permettant d’expliquer le soutien inconditionnel de l’Occident à Israël. En effet, Israël et l’Occident se reconnaissent dans une mission commune de domination civilisationnelle, idéologique et économique. Ils partagent des logiques d’exploitation, de pillage des ressources et d’instauration d’une économie néo-libéral.
Israël n’est autre que le continuum des sociétés occidentales, alors que la société palestinienne est aux antipodes de ce modèle : très attachée à ses traditions, à sa culture, à un rapport sentimental (si ce n’est d’amour d’après Rima Hassan) plutôt que d’exploitation à la terre.

L’eurodéputé franco-palestinienne prend en exemple ces vêtements brodés à la main par les femmes palestiniennes. Des conceptions de modèles uniques dont la maîtrise se transmet de génération en génération. Et les motifs sur ces robes sont en grande partie inspirés de la faune et de la flore environnante : les femmes palestiniennes pouvaient même identifier au premier coup d’œil d’où pouvaient venir précisément les personnes endossant ces robes.
C’est un crève-cœur pour Rima Hassan, qui considère qu’Israël a aussi volé cette connexion intime des Palestiniens avec leur terre. En effet, elle rapporte que dans certains camps des femmes palestiniennes disaient ne plus pouvoir broder à cause de leur exil, puisqu’elles ne voient plus rien de leur environnement.
Responsabilité européenne
D’après Rima Hassan, les Etats européens font partie à la fois du problème et de la solution face au génocide en cours. Historiquement d’abord, ce sont les accords Sykes-Picot entre Français et Britanniques qui ont permis de coloniser et découper la région à la fin de l’empire Ottoman.
Ensuite, lorsque les Britanniques ont pris le contrôle de la Palestine, des alliances ont été nouées avec le mouvement sioniste dans le but de créer un foyer national juif, en réponse principalement à l’antisémitisme qui sévissait en Europe, et en s’insérant politiquement dans les logiques de domination coloniale européenne de l’époque.
L’un des fondateurs du sionisme, Theodor Herzl, disait précisément qu’il fallait expulser la population indigène locale et exproprier leurs terres. Une projection qui tend à nier dès le départ le peuple qui existe sur ce territoire, son droit d’y vivre et sa liberté de se déterminer politiquement, à travers notamment le slogan “une terre sans peuple pour un peuple sans terre”.
Enfin, et non des moindres, le contexte d’antisémitisme européen a donné lieu à l’arrivée du nazisme au pouvoir et à l’extermination de 6 millions de juifs en Europe. L’Holocauste, c’est aussi une affaire de collaboration entre différents Etats, incluant la France.
En somme, l’Europe est le territoire le plus lié historiquement à la question palestinienne, de par ses dimensions coloniale et antisémite. La Palestine subit donc dès le départ les conséquences de la vision coloniale européenne du monde. L’Europe double sa peine aujourd’hui en faisant partie des plus grands soutiens d’Israël. Les Etats de l’UE sont, avec le reste de l’Occident, parmi les derniers pays à ne pas reconnaître l’Etat de Palestine.

Les crimes européens contre les juifs mènent aujourd’hui à une forme de culpabilité profonde sur le continent. Rima Hassan nous rappelle que l’Allemagne fût le premier pays à contester la saisine de la Cour Internationale par l’Afrique du Sud, c’est aussi le pays qui réprime le plus les mobilisations propalestiniennes, y compris les nombreux manifestants de confession juive…
La diplomatie ne fonctionne plus
Quand le gouvernement Bayrou critique une action d’aide humanitaire envers un peuple en détresse (la Flotille pour la liberté) et revendique l’action diplomatique plutôt que de protester contre l’affamement des Palestiniens, il affirme son soutien au génocide en cours. La diplomatie c’est l’inaction politique, les discours de façade, le statuquo.
Pour Rima Hassan, “le seul moyen d’arrêter un régime fasciste, ce n’est pas la diplomatie, ce sont les sanctions”. Elle affirme que la diplomatie a déjà échoué pendant des décennies avec Israël. Aujourd’hui, il faut mener la bataille des sanctions : exiger un embargo sur l’exportation d’armes, et instaurer des mesures interdisant les échanges commerciaux avec Israël (notamment les accords entre Israël et l’Union Européenne, son premier partenaire : 30% de ses échanges commerciaux passent par l’UE).
L’eurodéputé ne demande que le respect du droit international, et des conventions sur la fin de la colonisation et de l’occupation.
Elle considère qu’il est temps d’arrêter de débattre “si oui ou non il y a génocide”. Et le courage ce n’est pas de le dire un an après des milliers de vies anéanties : “on ne débat plus, on avance avec ceux qui veulent arrêter le génocide”.
Fin de la solution à deux Etats ?
Si la priorité absolue est de mettre au fin au génocide, à la colonisation et à l’occupation du territoire palestinien ; comment penser la coexistence des peuples une fois la paix et l’égalité obtenus ? Peut on encore songer à la solution à deux Etats sur le territoire israélo-palestinien ? Selon Rima Hassan, cette solution est obsolète, elle nous explique pourquoi.
L’eurodéputé insoumise se demande dans quelle condition viable peut-il y avoir un Etat palestinien : sur quelle territoire peuvent-ils vivre librement, sans colonisation ni occupation, avec la liberté d’installation, de circulation, etc. ? Or aujourd’hui, il n’y en a pas.
En Cisjordanie par exemple, il n’y a aucune continuité territoriale pour les Palestiniens : les experts parlent de “peau de léopard” (vidéo ci-dessous, 10’30”). En effet, les colons sont installés stratégiquement entre les villages palestiniens afin de couper tout lien de solidarités entre voisins et familles palestiniennes. Ils sont coupés du reste du monde, isolés, encerclés, sans parler de la bande de Gaza qui est un véritable enclos.
Ensuite, l’armée israélienne a déjà détruit toute condition de vie à Gaza. Selon les données de décembre 2024, 69% des bâtiments sont détruits ou endommagés selon le Centre satellitaire des Nations unies (Unosat), 95 % des établissements scolaires sont détruits ou endommagés selon l’Unicef, et seuls 18 des 36 hôpitaux fonctionnaient partiellement au crépuscule de l’année 2024. Les associations environnementales parlent également d’écocide : 68% des champs ont été détruits dans la bande de Gaza.
Enfin, Israël a mis en place un régime d’Apartheid qui persécute un peuple palestinien très fragmenté. En effet, Rima Hassan liste 5 statuts juridiques différents entre les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem, d’Israël ou encore réfugiés dans des camps.
Le système d’Appartheid est reconnu y compris en Israël, il sépare nettement les Palestiniens des colons israéliens. Sur ce territoire, une population domine l’autre où qu’elle se trouve, les Palestiniens n’ont pas accès aux mêmes routes que les colons, ni aux mêmes tribunaux.
En somme, la coexistence entre israéliens et palestiniens n’est possible que dans un Etat binational, où les droits fondamentaux de chaque peuple seraient respectés, sans rapport de domination et sans séparation des droits ni de l’espace public comme le veut le régime d’Apartheid. Non seulement la paix doit revenir en Palestine, mais Israël doit surtout se “décoloniser de l’intérieur” d’après Rima Hassan (y compris pour sa propre sécurité).
Benjamin Remtoula.
Photo de couverture : « MEP Rima Hassan » par The Left, CC BY-NC-SA 2.0.